vendredi 26 décembre 2014

Les cadeaux inattendus


À Noël, j’aime l’anonymat du Père Noël, je l’ai déjà évoqué, et aussi la surprise, les cadeaux inattendus, ceux qu’on n’a pas commandés.

La lettre au Père Noël, c’est le plaisir de rêver, agrémenté de l’incertitude. Comme dans un jeu. J’aimerais gagner, mais ce n’est pas certain, sinon, ce n’est pas du jeu… Si je suis sûre d’avoir ce que j’ai commandé, ah oui, j’ai le pouvoir, mais la surprise ? Le Père Noël n’aura peut-être pas les moyens, pas le temps, pas trouvé, et même pas envie de m’apporter ce que je lui ai demandé, il n’est pas aux ordres le Père Noël. Il faut savoir que le Père Noël n’a pas les pleins pouvoirs, et l’enfant non plus.
Il est quand même bien content qu’on lui donne des idées, le Père Noël, et il a très envie de faire plaisir. Alors il apportera sans doute quelque chose que je lui ai demandé.
Mais s’il glisse en plus dans mes chaussures un cadeau inattendu, un cadeau qui montre qu’il me connaît, qu’il a une complicité avec moi, qu’il aime bien me taquiner, qu’il a envie de partager avec moi une lecture, une musique, un jeu, c’est encore mieux. Avec un sourire, un soupçon de tendresse en prime.
Menacer les enfants de ne pas avoir ce qu’ils ont demandé s’ils ne sont pas sages, c’est dire que s’ils sont sages les cadeaux leur seront dus. Holà ! Dire plutôt à un enfant qui a envie d’un jouet : j’espère que le père Noël pourra te l’apporter, mais tu sais, c’est cher, ou c’est lourd, ou… ce que vous voulez. Pour qu’il ne soit pas trop déçu s’il ne le reçoit pas, et surtout pour qu’il en rêve avant.
Cela a tendance à se perdre, le plaisir de l’attente, du désir, du peut-être et du et si jamais, de nos jours. Et c’est dommage.


Les adultes se ménagent encore ce plaisir avec les jeux comme le LOTO, un impôt sur le rêve. Pendant longtemps, cela donnait bonne conscience, une part des revenus de la loterie nationale revenait à l’association des Gueules cassées, créée après la grande guerre. Mais on ne jouait pas par charité. On jouait, on joue, pour devenir riche, pour s’offrir ce qu’on ne pourra jamais s’offrir ! On sait que les probabilités sont infiniment petites de gagner, mais on joue !
J’ai joué au LOTO avec mes collègues de bureau pendant des années, sans y croire mais quand même, imaginez que les autres gagnent et que je me retrouve seule au bureau au milieu de millionnaires ! Donc je jouais et nous rêvions ensemble : ah, le patron, il en ferait une tête, quand on claquerait la porte tous ensemble ! Je jouais toujours les mêmes numéros, et maintenant, quand par hasard je me trouve devant la télé au moment du tirage du LOTO, j’ai un frisson de panique, ludique : et si mes numéros sortaient alors que je n’ai pas joué ?

mercredi 19 novembre 2014

Qui se cache derrière Saint Nicolas ?


Aux Pays Bas comme en Belgique, et souvent dans les pays du Nord de l’Europe, les enfants reçoivent leurs cadeaux « de Noël » le jour de la Saint Nicolas, le 6 décembre. Précurseur du Père Noël, qui lui ressemble beaucoup, ce vieillard à barbe blanche arpente les rues, lors des fêtes locales, accompagné d’un personnage comique qui l’aide à distribuer les bonbons et fait rire petits et grands avec ses mimiques, ses blagues et son accoutrement. Ils sont chacun le faire-valoir de l’autre, Nicolas le saint -le sage-  et Pierrot le noir (Zwarte Piet en néerlandais) le rigolo, comme deux clowns qui se donnent la réplique, clown blanc et Auguste, qui ne sauraient aller l’un sans l’autre.



St Nicolas est-il raciste ?

Le hic, c’est que Piet est noir, ou plutôt maquillé en noir… Maquillé et déguisé, outrageusement, grosses lèvres rouges et boucles d’oreilles, selon la tradition, conforme à une imagerie pour le moins dépassée… Mais si outrageusement caricaturé qu’il n’est peut-être pas si scandaleux que certains, criant au racisme veulent bien le dire. Si outrageusement caricaturé, comme le clown Auguste avec ses grands pieds et son nez rouge - alcoolique sans aucun doute, mais pas au premier degré - qu’il fait rire sans arrière-pensées. 


Le diable noir
Autrefois redoutable car il jouait le rôle du Père Fouettard, personnage diabolique, il punissait les enfants qui n'avaient pas été sages, il était nettement moins sympathique, et moins caricatural.

D'aucuns disent qu'il était noir parce qu'il passait par la cheminée. Comme son homonyme, dans d'anciennes versions germaniques du Pouilleux, Schwartzer Peter, qui était ramoneur. Les ramoneurs ne sont plus noirs de suie, mais le Pouilleux reste de couleur noire, c'est le Valet de Pique, qu'il ne faut pas garder en main. À ce jeu, Peter est celui qu'on rejette, et le perdant a le visage barbouillé de noir de fumée.



Piet, le valet de Saint Nicolas, n’est ni mal traité ni mal aimé. Au contraire, tous les enfants rêvent de se maquiller en noir comme lui. Il paraît qu’il était représenté comme un benêt autrefois. Aujourd’hui, facétieux, blagueur, faisant des niches à son « patron », il est populaire comme Guignol ou Arlequin, à qui il ressemble un peu, d’ailleurs.



Pas politiquement correct, alors ?
Confrontés aux protestations des associations antiracistes, les responsables politiques ont dû trancher : ce personnage caricatural défilerait-il ou non avec  Saint Nicolas ? Le maire de Gouda - ville du célèbre fromage - où débarquait Saint Nicolas cette année, le 15 novembre, pour commencer sa tournée, s’en est sorti avec une pirouette sympathique. Saint Nicolas entouré de plusieurs personnages colorés, dont un personnage jaune, couleur du gouda, avec de petites touches de marron pour le cumin…


Ça me rappelle une histoire, qui se passe aux Ètats Unis. Dans un car scolaire, les enfants se disputent sans cesse, se traitant de « sale blanc » et de « sale noir ». Le chauffeur exaspéré s’arrête, fait descendre tout les enfants et leur dit : « Bon maintenant ça suffit, il n’y a plus de noirs et de blancs, vous êtes tous des bleus, OK ? Alors, on y va, les bleu clair devant et les bleu foncé derrière. »

En Hollande, chacun s’en mêle
La page Facebook de défense de la St Nicolas avec Piet le noir a obtenu en 1 mois plus de 2 millions de likes. Et dans les rues de Gouda, ce 15 novembre, 90 personnes ont été arrêtées lors d’importantes manifestations contre cette fête considérée comme raciste. 

Saint Nicolas, c'est quand même un évêque 
C’est toute la tradition qu’il faudrait remettre en cause : ce personnage de saint, cet évêque avec sa mitre et sa crosse, ne fait-il pas s’étrangler les associations laïques, autant que les chrétiens intégristes ? Saint Nicolas ressuscite les Trois Petits Enfants qui s’en allaient glaner aux champs, mais laissait son acolyte Swarte Piet menacer d'emmener en enfer - dans le noir - les vilains enfants. 
Saint Nicolas, patron des navigateurs, débarque des colonies hollandaises avec son âne et son serviteur… Et défile, en agitant la main tel un pape, et en distribuant des gourmandises… Quel méli mélo !

Au passage, souvenez-vous que ces fêtes traditionnelles, d’origine païenne, correspondent au changement de saison. Saint Nicolas est l'un des premiers personnages magiques annonçant les longues nuit d'hiver, la perte du soleil, le noir.

Et revoilà le Père Noël !
Le Père Noël emprunte à St Nicolas sa barbe, son visage poupin, ses pouvoirs magiques, sa bienveillance à l’égard des enfants, et laisse tomber au passage le Père Fouettard tout noir. S’il est escorté de personnages facétieux, ce sont des petits lutins venus du Grand Nord. Et s’il a une religion, c’est seulement celle de l’argent et du commerce. Un moindre mal ? 

PS. En Angleterre un débat similaire a abouti à l’abandon d’une poupée noire traditionnelle, la Golly Doll, en chiffons ou tricotée maison, autrefois incontournable dans la chambre d’enfants, côte à côte avec l’ours Teddy. 



lundi 3 novembre 2014

Avatar à Prague, des jouets pour se souvenir


À Prague, le 17 novembre 1989* a été le point de départ de la Révolution de velours, une révolte pacifique qui a mené à la fin du régime communiste totalitaire. Ce jour-là, une répression sévère et violente s'abat contre les nombreux pragois descendus dans la rue, quelques jours après la chute du mur de Berlin, pour protester contre l’autorité en place, et coincés par les forces de police qui bloquaient toutes les issues et ne leur laissaient pas la possibilité de fuir.


Les enfants ne perçoivent pas du tout ce qu’a été le 17 novembre pour leurs parents. "Pour les enfants, c'est un événement abstrait coïncidant avec les guerres et les révolutions anciennes, pour nous, parents, c’est une histoire personnelle et familiale », disent Tania et Mirek, pour expliquer leur projet, un film qui montre les manifestants face aux forces de police, qui permet aux adultes de dire ce qui s'est passé, aux enfants de l'entendre, grâce aux jouets .


Tania Slánské-Markova et Mirek Trejtnar en pleine préparation
Autour du plan de la ville, posé sur des tréteaux, les adultes se souviennent de ce qu'ils ont vécu il y a 25 ans, et le racontent, en choisissant un jouet qui sera leur avatar. 
C'est l'idée de Tania Slánské-Markova, auteure de documentaires engagés, et de Miroslav Trejtnar, créateur de marionnettes et de films d’animation (notre prof de marionnettes dragons lors d’un stage enthousiasmant).

Les manifestants cernés, extrait du film en cours de tournage

On déplace son avatar sur le plan de Prague comme sur un plateau de jeu. Le jouet choisi représente celui qui raconte, tel qu'il était il y a 25 ans, et permet de rendre le récit plus abordable pour les enfants, il rapproche l’enfant de son père ou de  sa mère qui était alors jeune homme, jeune femme, et le plus souvent enfant. Et il facilite la parole des adultes en jouant son rôle de transfert : c’est l’ourson ou le Playmobil qui a eu peur, qui a cherché à fuir, qui a pris des coups. L’avatar permet de se débarrasser de la honte, lors de la présentation publique, d’une expérience privée douloureuse. Une souffrance parfois enfouie qui va s’exprimer par le jeu libérateur.

Ce monsieur explique comment il a cherché à s'enfuir en  se laissant glisser le long d'un réverbère


Le film montre les parents qui revivent ces moments dont ils ont été les témoins, voire les victimes, les enfants à l’écoute des souvenirs et leur intérêt dans le récit des parents. Et l’importance de partager, transférer les souvenirs personnels dans les familles, entre générations. 

*C’était une  date anniversaire, 50 ans après la révolte étudiante contre l’occupation nazie, le 17 novembre 1939. Aujourd’hui, le 17 novembre est un jour férié dans le calendrier tchèque et dans le calendrier slovaque, le Jour de la lutte pour la liberté et la démocratie.

lundi 27 octobre 2014

Les jouets des adultes (suite). Le jeu du clip


J'ai déjà parlé d’Alexandre Zelkine et de ses super maquettes de train.
Mathias aussi joue avec les maquettes. Il écrit des chansons avec Sophie Pomella et s’amuse avec les mots, mais c’est lorsqu’il prépare la mise en images des chansons qu’il joue à fond. Création artistique et jeu se mêlent.

Sans aucuns moyens, c’est la règle numéro un.
Pour Château, c’est tout un univers miniature qu’il crée, avec de petites figurines de plomb, qu’il peint avec minutie avant de les installer dans un décor de carton-pâte : le château, avec ses fenêtres en papier calque, le jardin à la française, avec ses pelouses, son bassin, ses statues, ses allées bien alignées, ses arbres séculaires, sa grille ouvragée…


Grille découpée au laser comme une dentelle. Dans le bassin peint en bleu il met de la vraie eau, dans laquelle se reflèteront les personnages. Derrière la fenêtre une bougie dans un tuyau pour faire une lumière vivante, et un peu de fumée qui sort de la cheminée. Pour les arbres, des branchages et de la laine d’agneau. Et pour le sable des allées une fine couche de chapelure…
Mais voilà le vent qui se lève, pour éviter que la maquette ne s’envole, il faut inventer un paravent de fortune.


Règle numéro 2, filmer et animer
Plans rapprochés, zooms, mais ce qui serait bien c’est un travelling : Mathias fabrique un chariot de bois sur lequel il fixera sa camera avec 2 élastiques. Un banc posé sur les boites de jouets prêtées par les petits pour faire rouler ce chariot, et le tour est joué ! Et maintenant, si on faisait rouler une voiture en inclinant un peu la maquette ?








Règle numéro 3, l'échelle
Introduire Sophie dans le champ à l’échelle des petits personnages qui font à peine 2 centimètre. Filmer son image dans un miroir pour ajouter de la distance ? Jouer sur les illusions d’optique en lui demandant de bouger à plusieurs mètres de la maquette ? Sophie se costume au fil du temps, peu à peu le scénario se dessine.




Règle numéro 4, montrer le temps 
Le jour qui passe, la nuit, les éclairs. Si on filmait avec en fond un écran sur lequel défile un ciel d’orage ? Méliès n'aurait pas fait mieux !

À chaque difficulté, trouver la solution devient si jubilatoireAu fil de son jeu, j’observe Mathias, quadragénaire. Très proche d’un enfant créant son univers Playmobil ou Lego, où le décor et la mise en scène des personnages ont autant d’importance que l’histoire imaginée. 
Très proche du petit garçon que j'ai connu, ce créateur en pleine effervescence !


La suite, le montage, la synchronisation avec la chanteuse et la musique, avec un autre enjeu : un clip bien regardé et une chanson bien écoutée. Mais quand « c’est dans la boite », le jeu est fini, dommage !
Il n'y a plus qu'à écouter et regarder Le Château


Le Château


Alors Mathias se lance un nouveau défi, avec un nouveau clip, une nouvelle chanson à illustrer, jeux avec le public (mais comment fait-elle ?), avec ce qu’il faut de distance, parce que c’est pour jouer.


Aquarium

Y a plus qu'à








dimanche 28 septembre 2014

Poupées d'artistes


Sasha Morgenthaler, Elisabeth Pongratz, Annette Himstedt, Beatrix Bohony


Beatrix Bohony,  artiste hongroise, auteur des jeux Marbushka, vient de  créer sa première poupée, Emma. Rangée dans un coffret noué d’un ruban doré, Emma, habillée d’un élégant manteau d’une jolie robe et d’une écharpe, est accompagnée de son petit chien en bois. Elle a sous le bras le premier numéro d’Emmagazine, une mini brochure qui montre, à la façon d’un magazine de mode, les différentes tenues qu’on peut se procurer séparément.

Tête et cou en bois, corps en tissu, aux antipodes de Barbie, c’est une poupée mannequin, dont on peut varier les toilettes.
Chaque poupée est unique, visage peint à la main, et précieuse, raffinée dans les moindres détails, attachante.
Des petites filles très chanceuses l’adopteront et s’en feront une compagne de jeu, mais aussi les  adultes, collectionneurs et collectionneuses de poupées, qui vont se régaler.

Les premières poupées d’artiste que j’ai connues, c’étaient les poupées Sasha. Sasha Morgenthaler est une artiste suisse du XXème siècle,  qui a créé ses premières poupées dans les années 1920. Elles ont un teint mat et une expression grave qui les caractérisent. Les enfants confient toutes sortes de choses sérieuses à leur poupée, expliquait-elle, alors leur poupée ne peut pas sembler futile ou une trop joyeuse.  


Les poupées de Sacha Morgenthaler (1893-1975)       Sasha dolls, 1999, Benteli Verlag, Bern,

S’adressant aux enfants du monde entier, Sasha Morgenthaler avait l’art de donner à chacun une personnalité, malgré une expression neutre, et une carnation très éloignée des poupées « blanches » de l’époque. Dès qu’elle a trouvé des industriels capables de reproduite assez fidèlement ses poupées, elle a donné à deux fabricants, l’un en Allemagne, l’autre en Angleterre, l’autorisation de fabriquer ses poupées en usine, pour les rendre accessibles à tous les enfants. Ceux qui ont eu des poupées Sasha, dans mon entourage, ont plus ou moins abandonné leurs autres poupées… Tandis que les adultes commençaient leurs collections. Des usines, sortaient aussi des éditions limitées, parfois numérotées, juste pour les collectionneurs.

Au Salon du Jouet de Nuremberg, il y a plusieurs allées consacrées aux créateurs -souvent créatrices - de poupées. On passait dans ces allées comme dans un musée.


Kaschmiri, Annette Himstedt 2008
J’ai  découvert là Annette Himstedt et ses poupées très réalistes et très émouvantes. Presque grandeur nature, habillées de vrais vêtements d’enfants, ces poupées en vinyle étaient souvent achetées par des adultes, comme des œuvres d’art, ou comme objets décoratifs pour leur maison. Il y a un petit garçon que j’aime beaucoup – création d’Annette Helmstedt - assis sur un fauteuil chez une de mes amis. Il ne dit rien, il ne bouge pas, mais quelle présence !

Mes poupées préférées sont signées Elisabeth Pongratz.


Ma petite Margot, Elisabeth Pongratz 1990, photo Brieuc
Elles ont une tête en bois, un corps de bois et de chiffon, et de jolis vêtements tricotés à la main comme dans les années 70 - 80. Tous ces enfants, petites filles, petits garçons, bébés, sont uniques, peints avec une grande délicatesse, et me touchent beaucoup.  Les bébés sont  particulièrement troublants parce qu’ils ne tiennent pas très bien leur tête, comme de vrais petits bébés,  et chacun retrouve en les prenant dans la main (ils sont bien plus petits que des bébés pourtant),  les gestes délicats que l’on a quand on porte un tout petit enfant. Un jour, on m’a offert un bébé d’Elisabeth Pongratz, le petit avec la grenouillère bleu marine,  et toute la famille était si attendrie devant ce merveilleux bébé que mon petit dernier de 4 ans s’est senti menacé et, jaloux, l’a caché, bien caché, sous les coussins du salon.

Étonnantes émotions ressenties devant des poupées, à la fois comme devant des œuvres d’art, et comme de vrais enfants…


Photo extraite du calendrier 2014
Chaque année édition d'un calendrier,  12 photos format carte postale, ici 1996 












lundi 18 août 2014

Jeux érotiques 2) Les jeux sexuels


Vous reprendrez bien un peu de piment ?
L’été, vous avez le choix, dans les magasines féminins, entre les tests sur votre sexualité et les conseils pour faire renaître le désir dans votre couple supposé endormi par la routine, massages et jeux libérateurs. Jouer pour changer, jouer pour oser.
Les jeux de l’amour et du hasard
Deux dés, et vous voilà en piste : l’un dit où, l’autre dit quoi, vous n’avez plus qu’à vous exécuter.
les dés bilingues

Gages, défis et vérités : sous forme de jeu de plateau à jouer à deux ou en société. La plupart du temps, ce sont des jeux classiques, jeu de dames, jeu de l’oie ou trivial pursuit, qui sont adaptés avec des gages à exécuter quand on a perdu, et des questions intimes. On appelait ces gages des pénitences, du Baiser à la capucine (un jeu datant de la Renaissance), au Berceau d’amour, du Voyage à Cythère au Cheval d’Aristote, on en échangeait déjà des baisers coquins, dans les soirées jeux d'autrefois !


Dans les jeux de plateau, je doute qu’il y ait beaucoup de mécanismes de jeu intéressants, et de même dans les jeux de cartes, sauf peut-être le strip poker, parce que c’est le poker. Mais sans doute de bons fous rires en perspective. Et plus si affinité.

Un petit jeu de rôle qui épicera un peu les ébats amoureux
Faites preuve d’imagination, répètent à l’envi les journalistes, vous suggérant de mettre en scène des scénarios bien convenus. On joue à être la maîtresse d’école avec son élève, la prisonnière avec son geôlier, la call-girl avec son riche client… On dirait que je serais soubrette ou autostoppeuse. Tu serais le plombier, ou l’informaticien venu réparer mon ordinateur, et bien sûr je t’ouvrirais la porte en nuisette sexy… 
Changer un peu de look, se costumer juste pour rire et porter l’un sur l’autre un nouveau regard. Être complices. C’est plutôt mignon, et joyeux. Si c’est pour recoller les morceaux, ça risque aussi d’être pathétique. Jouons pour jouer, pas pour améliorer notre ordinaire…
Dans le magasin Leclerc où je fais mes courses on trouve au rayon des sous-vêtements féminins une émoustillante tenue d’infirmière. Ça m’a quand même surprise : vraiment, on peut passer avec ça à la caisse sans que personne ne bronche ? Pas de quoi fouetter un chat, c’est pour jouer.

 Le jeu a un temps, au-delà on sort du jeu
« Pas besoin de pousser la porte d’un club échangiste ou de virer SM pour pimenter sa vie sexuelle ! Avec un peu d’imagination, vous pouvez vivre des corps à corps torrides et amusants. Pour cela, il vous suffit de vous glisser dans la peau d’une autre, le temps d’une soirée. » (aufeminin.com, juillet 2012)
Dans cette dernière phrase, au double sens, voulu ou non, qui fait sourire, c’est la limite temporelle qui est importante, « le temps d’une soirée ».

Pour ranimer la flamme, peut-on jouer avec le feu ?
Parmi les 10 scénarios proposés par aufeminin.com, Nathalie-Marine Barenghi propose L’amour sous la contrainte, et voilà son commentaire :
"Si dans la réalité, c'est un acte répréhensible, dans le fantasme et le jeu, la signification en est totalement différente. Dans le monde réel, contraindre l'autre est une agression, voire un viol. Dans le jeu, au contraire, il signifie : "tu es si désirable que je ne peux te résister. Tu as un tel pouvoir sur moi que je te veux à tout prix". Et pour une femme, cela peut être très libérateur. Elle peut se laisser aller à faire des choses qu'elle n'aurait jamais osées, puisqu'elle y est obligée. Mais attention, cela doit toujours rester un jeu et les deux partenaires doivent être totalement consentants sur le scénario. Sinon, cela pourrait devenir très désagréable." Si c’est du jeu, tout est permis ?

« Cela doit toujours rester un jeu »
Mais quand passe-t-on du Pour faire semblant  au Pour de vrai, du monde du jeu au monde réel ? Si le jeu c’est pour de faux, « Tu as un tel pouvoir sur moi que je te veux à tout prix » c’est vrai ? Quand les partenaires sont–ils sincères ?  Comment s’assurer de « rester dans le jeu » ? Et d’en sortir à temps, et indemne ?
Et comment définir le total consentement ? D’Histoire d’O à Cinquante nuances de Grey, on rencontre dans la fiction des femmes qui consentent librement à être maltraitées, est-ce du jeu ?
Règle et liberté sont indissociables dans le jeu. On énonce la règle avant de commencer, dans le contexte ainsi défini on peut se laisser aller, dire ou faire des choses qui ne sont pas autorisées d’habitude, mais ce n’est pas vrai que tout est permis, je ne peux pas te tuer pour de vrai dans le jeu, tous les enfants le savent. Je ne peux pas te faire mal ou t’humilier pour de vrai. Et la liberté, c’est aussi de pouvoir dire « je ne joue plus ».

vendredi 15 août 2014

Jeux érotiques 1) les sextoys


Les sextoys sont-ils des jouets ?

D’abord instruments médicaux pour soulager les patientes souffrant d’hystérie, bien féminine (hystérie-uterus), les vibromasseurs et autres godemichets ont-ils changé d’objet en changeant de nom ? Parce que, mis à part le charmant petit canard vibrant, les autres ne ressemblent pas vraiment à des jouets ! Maintenant ludiques avant tout, ils sont devenus plus accessibles. On en trouve même dans la hotte du Père Noël. Eh quoi ? C’est un jouet !



Petite histoire du vibromasseur
Dans le Elle Québec du 12 avril 2011, Carmen Jean, s’appuyant sur le livre de Rachel P. Maines Technologies de l'orgasme, relate les dates marquantes en Amérique du Nord.
"1869 Un médecin américain fait breveter des «machines de massage» qui fonctionnent à l'aide d'un moteur à vapeur. 1880 Le premier vibromasseur électromécanique à usage médical est breveté et mis sur le marché à peu près à la même époque que le téléphone et l'ampoule électrique. Le prétexte thérapeutique? «Soulager les muscles endoloris.» 1900 Pour les médecins qui désirent se débarrasser de la tâche «ingrate» de soulager manuellement leurs patientes, les modèles de vibromasseurs se multiplient sur le marché médical. On trouve de tout, des produits bas de gamme actionnés avec une pédale jusqu'à d'élégants prototypes de luxe, livrés avec leurs accessoires. 
1915 Plus besoin de prescription! Aux États-Unis, les ménagères peuvent désormais acquérir elles-mêmes un «petit appareil électroménager à usage personnel». «Grâce à lui, vous sentirez palpiter en vous tous les plaisirs de la jeunesse», promettent les réclames dans les magazines féminins. 1918 «Des outils que toute femme apprécie», dit un slogan de Sears, Roebuck and Company, qui présente sous ce titre accrocheur une machine à coudre, un mixeur et... un vibrateur. L'attirail de la reine du foyer serait incomplet sans lui !  1960-1970 Le mouvement des femmes et la libération sexuelle aidant, le vibromasseur apparaît sous toutes les formes, toutes les couleurs, toutes les tailles et toutes les textures."
«  Cette fois-ci, personne n'est dupe: un vibrateur, c'est fait pour jouir, et les femmes n'ont plus de complexes à s'en servir. Mine de rien, une révolution a eu lieu... » commente Carmen Jean. Pour jouir, ou pour jouer ?
Jouir – jouer
Une petite lettre suffit à rendre innocent, voire charmant, l’usage de ces outils de plaisir. Le jouet, c’est l’enfance, la pureté, le jeu, ce n’est pas sérieux, c’est pour rire, c’est sans conséquence.
Duckie, le petit canard innocent
En 2001, Big Teaze Toys lance son concept Toys that play with you® avec Duckie. « When this lucky Duckie burst onto the scene, he didn’t just charm your pants off with an innocent flash of his sweet gaze and snuggly Duckie body - OHHHhh no, he also started a long-awaited revolution in waterproof, personal massagers. Always the strong, silent type, he invites you to merely press on his back and the quiet motor will send delectably intense vibrations into his head and tail that immediately begin to melt away the stresses and tensions of your day. »

"Le but était à la fois d'améliorer et d'atténuer la perception ressentie face aux produits destinés au plaisir des adultes." C'est réussi. 
En France, Sonia Rykiel vend son canard dans les sous-sols de ses boutiques, et en 2005 le voilà sans vergogne en rayon chez Sephora, entre les sels de bain et les tubes de mascara.
Il suffit d’un petit canard pour accomplir ce glissement (haha) du « pas très catholique », « limite porno », pas franchement avouable, du truc qu’on fait en cachette, au « fun », qu’on se raconte entre copines, qu’on explique sans complexes sur les sites féminins et qu’on vend sur internet.

La vente de jouets d’adultes va bientôt rattraper sur le marché la vente de l’ensemble des jouets des enfants.
La vente de Sextoys en France progresse de plus de 50% entre 2010 et 2013 (Price Minister, février 2014), et le chiffre d’affaires annuel est de 22 milliards d’euros (Planetoscope), contre 36 milliards pour l’ensemble des jouets des enfants, et 70 milliards pour les jeux vidéo.
Deux, trois autres animaux mignons,  et vibrants, lapin, pingouin, chenille, ont fait leur apparition, mais la plupart des sextoys restent des objets moins poétiques, même si les fabricants font de plus en plus appel à de célèbres designers, comme en témoigne la sélection de Elle.fr. Ça ne ressemble pas à un jouet, et on ne joue pas vraiment avec (à moins de vivre chaque instant de la vie comme un jeu). On assimile plaisir et jouer, et hop ! On lève les interdits, on contourne les tabous. C’est plutôt là le jeu…




Comment on joue ?
Le petit canard, on s'en sert comment ? Certains sites plutôt reconnus, comme Femme actuelle ou Cosmopolitan, ouvrent leurs pages aux conseils et modes d'emploi. Les présentatrices ne vont pas jusqu'à faire des démos mais presque. Mais (suis-je un peu vieux jeu ?) je ne vois pas bien le jeu…
Au royaume de l’hypocrisie… 
Le petit canard a permis de parler plus ouvertement du plaisir, notamment du plaisir féminin, tant mieux. Curieusement, certaines journalistes, certains forums, ont tendance à ériger des règles (c’est normal pour un jeu) qui maintiennent l’usage de ces jouets dans les limites d’une certaine moralité, préconisant les jeux avec ces sextoys en couple, pour raviver les sentiments en même temps que les sensations des partenaires. Je n’approuve pas l’idéologie sous-jacente, le tabou des plaisirs solitaires, mais puisque nous parlons de jouer, j’aime bien cette idée : le jeu, ça se partage. 

D'ailleurs, c'est mon petit 2 : les jeux sexuels. (à suivre)