mercredi 29 mai 2013

Les jouets des adultes. Alexandre, 75 ans, et son train électrique.


Ce jeu a commencé il y a une quinzaine d’années au Québec. Il se perpétue au Mans, au fond d’un ravissant jardin. Vous montez un petit escalier et vous vous retrouvez au Nord du Canada, à l’échelle américaine 1/64, avec une ligne de chemin de fer qui dessert une exploitation forestière, une mine, un petit port, une bourgade, au début du 20ème siècle.

Cliquez sur l'image pour voir le train en marche

Modéliser, reproduire en miniature, avec une précision minutieuse. Le jeu, c’est de construire, au plus près de la réalité, rouages mécaniques, essences d’arbre et bâtiments, dont on peut si l’on veut soulever le toit pour admirer les charpentes ou regarder à la loupe le travail en atelier. On peut acheter une locomotive, et ses wagons, mais c’est bien mieux de les faire soi-même. Au rez-de-chaussée, Alexandre a ses outils pour fabriquer engins et accessoires, maisons et paysages.

L'intérieur de la scierie, photo A.Z.

Fouiner, échanger entre passionnés. Grâce à Internet, les modélistes ferroviaires se connaissent et échangent sans cesse, partout dans le monde. Un ami d’Alexandre, John, récemment décédé, lui a fait don de ses trains. Alexandre les a repris, il a lesté ce wagon trop léger et modifié cette grue pour qu’elle s’adapte au travail des bûcherons. Dans le bourg imaginaire, une boutique, fermée pour cause de décès, porte le nom du généreux donateur, jamais oublié dans le jeu.
Mettre en scène et se raconter des histoires.
Tel un enfant, Il fait tourner pour nous un convoi de marchandises, en commentant pour lui-même : là on va faire une marche arrière pour récupérer ces containers, qu’il faut emmener au port, après s’être débarrassé des grumes qui sont sur ces wagons-là. Et d’actionner la plaque tournante. Ensuite, le train de voyageurs se met en branle et Alexandre explique qu’il va s’arrêter à une petite gare à l’orée de la forêt pour récupérer des marcheurs, débarqués au petit matin, qui sont de retour de leur randonnée. Le train passe sur un pont, une saynète se déroule plus bas : dans une barque, un pêcheur, un poisson au bout de la ligne, et là deux canards qui se cachent dans les roseaux. Partout de petites histoires annexes se racontent, tandis que les trains circulent dans l’univers des exploitants forestiers. Aucun détail n’est dû au hasard, Alexandre appuie son scénario sur des faits, des lieux réels, une histoire mondiale qu’il connait bien, utilisant aussi sa facilité à parler de nombreuses langues. Russe d'origine, il a construit une chapelle orthodoxe dans l’espace réservé aux immigrants russes venus travailler à la mine. Quand il n’y a pas de témoins, nul doute qu’il leur donne aussi la parole, et que ces hommes éméchés ne se jettent à la tête des injures russes bien senties.

C’est pour de faux !
Dans tout cet univers  si soigneusement réalisé, dans les moindres détails, et d’après des reproductions qu’Alexandre est capable de dater au jour près, surgit tout à coup un dinosaure. Et puis un autre, caché dans le bois, et un troisième à peine visible. Égarés là par la petite-fille d’Alexandre ?  Non, non, Alexandre, l’œil rieur, vous explique que les dinosaures ont survécu là grâce au minerai, unique, récolté dans cette mine. Des braconniers peu scrupuleux les revendent à l’autre bout du monde pour en faire de la nourriture pour chien. Exploitation  non contrôlée, et sans protection puisque personne n’a légiféré sur les animaux préhistoriques, et qui provoqua la fin des dinosaures, explique Alexandre avec le plus facétieux des sérieux.

Facétie et jeux de mots.
Alexandre Zelkine, chanteur et photographe
Très réaliste, au bord du ballast, quelques délicats coquelicots fleurissant dans les herbes folles, une palissade en bois recouverte d’affiches jaunies, sur laquelle est placardé un avis de recherche pour un personnage qui a les traits mêmes d’Alexandre. La bonnèterie, Tillins’trimming, porte le nom à peine déformé, de sa belle-sœur toujours tricotant, tandis que le magasin de cadeaux, Doudou’s gardens évoque un ami à la main verte. Un wagon porte le prénom de sa petite fille, Doña Coralie. Mais le pire -ou le mieux- inscrit sur son tableau de bord, c’est le nom de la compagnie de train : Degulbeef & Cradding RR. Touche après touche, l’artiste s’amuse et se rit de lui-même en composant un paysage fabuleux.
Et dans la vraie vie ? En promenade, l’œil toujours furtif, Alexandre ramasse un branchage qui fera un rondin parfait pour l’exploitation. Et puis le voilà sur son ordinateur à chercher des documents sur telle plante, telle terre ou telle mécanique, ou discutant avec un modéliste du même acabit. Ou bien, photographe de métier, Alexandre part à la recherche d’images qu’il pourra reproduire dans ses décors. Quelle finesse, quelle patience, quelle minutie lui faut-il pour réaliser une telle maquette ! Témoin de notre admiration, Cilou Zelkine, sa femme, s’en amuse. Minutieux, patient Alexandre ? C’est bien le contraire dans la vraie vie, dit-elle. Mais vienne le temps du jeu et tout change !
Au fond du jardin se cache la minuscule et fabuleuse salle de jeu d'Alexandre

De jolies photos du train d'Alexandre sur ce lien

samedi 11 mai 2013

La fête des mères, quelle ambiguïté !



   En voilà une qui est controversée et pour laquelle nous avons pas mal d’idées reçues ! Un petit tour du monde et un peu d’histoire s’imposent. La fête des mères est fêtée en Europe depuis l’époque romaine, et bien des pays ont un jour particulier pour fêter les mères, mais pas tous à la fin du mois de mai. En France, cette fête prend des airs officiels dès 1906, célébrant les mères de familles nombreuses. Pétain, on le sait, met cette fête à l'honneur, mais c’est en 1950  que la République Française, par une loi, "rend officiellement hommage chaque année aux mères françaises au cours d'une journée consacrée à la célébration de la Fête des mères".


                                          


Mais pourquoi parler de la fête des mères dans mes Histoires de jouer ? Ce n’est pas vraiment un jeu de réciter sa poésie ou de fabriquer le cadeau traditionnel (conventionnel ?). Si on prend plaisir à préparer une surprise, la maman feignant de ne pas être au courant, le jeu s’arrête souvent là. Parfois même l’enfant maladroit, convaincu que son cadeau n’est pas aussi bien fait que celui de ses copains d’école, se trouve malheureux d’offrir « ça » à sa maman. Sans parler de la souffrance de celui ou celle qui n’a pas de maman à fêter. Et de celles qui ne sont pas mamans, que ce soit leur choix ou non.
Dans le contexte actuel, faut-il fêter les mères supposées être toutes bonnes, supposées irremplaçables, indispensables ? Faut-il fêter la maternité -la natalité, comme après guerre, dans une planète surpeuplée ?
Comme pour moi tout est prétexte à des jeux -des jeux pleins de tendresse en plus, ça ne se refuse pas-, j’ai tout de même envie de cette fête, sans pour autant lui donner trop d’importance, et sans tomber dans le piège de la consommation.
J’ai beau avoir un certain âge, et quatre enfants, je ne pense toujours pas à la fête des mères comme MA fête, mais comme celle de ma Maman. Et j’éprouve comme une gêne d’usurpatrice à être fêtée éventuellement ce jour-là, depuis que ma mère a disparu. 
On n’en faisait pourtant pas des tonnes, dans ma famille, ce dimanche-là, je crois que l’ombre du maréchal Pétain, que nous tenions comme l’instigateur de cette journée solennelle, en ternissait un peu la couleur. C’était comme si nous avions le sentiment, enfants déjà, de nous faire peut-être récupérer, manipuler. Et la meilleure défense que nous avions, qui vaut toujours aujourd’hui, c’était d’éviter les achats obligés, et d’inventer notre fête à notre façon. Il y avait toujours un bouquet de fleurs pour ma mère, mon père y tenait, mais si nous pouvions trouver le temps d’aller les cueillir nous-mêmes, c’était bien mieux. S’il y avait un cadeau, un dessin souvent, c’était pour la joie de la voir le déballer, mais ce que j’aimais, ce dimanche-là, c’était lui interdire l’accès à la cuisine et bricoler en famille le repas dominical. J’avais déjà un livre de cuisine qu’il m’arrive d’utiliser encore, La cuisine est un jeu d’enfant, de Michel Oliver. Je me souviens du poulet cuit dans le gros sel qu’il avait fallu casser avec un marteau. Doré, craquant et tendre à la fois, salé à point, et si ludique !
Nous inversions les rôles et la servions à table, et, petite, je vivais ça comme un jeu, comme ces moments de Carnaval où les puissants se mettaient au service de leurs domestiques. Comme dans un jeu c’était exagéré : nous faisions jouer à notre mère le rôle de la femme au foyer, cantonnée en temps normal dans sa cuisine, même si nous savions bien que sa vie ne se limitait pas à nourrir son petit monde. N’empêche qu’elle le nourrissait quotidiennement son petit monde, en plus du reste, et que nous avions envie de l’en remercier. Voilà sans doute pourquoi cela ne peut pas être MA fête, quelles tâches domestiques pourraient-ils bien faire à ma place, mon compagnon, mes enfants, qu’ils ne partagent déjà ?
Comme le 8 mars, journée de la femme, où exceptionnellement les hommes sont supposés s’occuper une fois l’an, de la maisonnée, la fête des mères serait-elle celle de la ménagère ? Celle où l’on offre le mixer ou le fer à repasser dernier cri ? Voilà bien le hic (« Voilà le X » disait mon voisin Jacques quand il avait bu un coup de trop). Ce serait enjoliver cette image obsolette de la mère maîtresse de maison, mais c’est aussi reconnaître que la majorité des tâches ménagères incombent encore aux femmes dans les familles françaises, et les en remercier.

                                      

Google sort un clip  pour la fête des mères qui a lieu aux USA le deuxième dimanche de mai. Des mères modernes, de l’accouchement à un âge avancé, joyeuses, tendres, consolantes, parfois dans leur cuisine, mais pas « en service », parfois derrière un bureau, mais à la maison. Des mères très desperate housewives, et puis une série de vignettes montrant des mères de tous les pays. « Tu as toujours été là. Je veux te dire merci ». Le message d’un adulte, qui se souvient de sa maman, plutôt que celui d’un enfant. Le message que toute mère « normale » (ah ! ah !) entendrait avec plaisir, sauf qu’il y a des moments de la vie où l’on se dit peut-être qu’on n’a pas été présente, ou pas à la hauteur. Combien de mamans toujours courant ne se sont-elles pas entendu dire par leur ado : « de toutes façons, tu n’es jamais là » ? Le message d’une société qui dit aux mères : vous devez être toujours là. Culpabilisant, presque. 

En plus d’être « toujours là » elle doit être aussi la plus jolie, comme on peut le lire dans de nombreux messages pré-écrits à son attention. 

                                      

« Tu as toujours été là. Je veux te dire merci ». Le message qu’on voudrait aussi bien envoyer à son père, à un ami, à son amoureux, à ses frères et sœurs, à chacun de ses enfants. Histoire de ne pas oublier de dire à ceux que l’on aime qu’on les aime.
Mais comment se termine le clip de Google ? Avec le Père Noël, dans un centre commercial : allez, on fait la fête, c’est juste un jeu !