Mais pourquoi
parler de la fête des mères dans mes Histoires de jouer ? Ce n’est pas
vraiment un jeu de réciter sa poésie ou de fabriquer le cadeau traditionnel
(conventionnel ?). Si on prend plaisir à préparer une surprise, la maman
feignant de ne pas être au courant, le jeu s’arrête souvent là. Parfois même
l’enfant maladroit, convaincu que son cadeau n’est pas aussi bien fait que
celui de ses copains d’école, se trouve malheureux d’offrir « ça » à
sa maman. Sans parler
de la souffrance de celui ou celle qui n’a pas de maman à fêter. Et de celles
qui ne sont pas mamans, que ce soit leur choix ou non.
Dans le
contexte actuel, faut-il fêter les mères supposées être toutes bonnes,
supposées irremplaçables, indispensables ? Faut-il fêter la maternité -la
natalité, comme après guerre, dans une planète surpeuplée ?
Comme pour
moi tout est prétexte à des jeux -des jeux pleins de tendresse en plus, ça ne
se refuse pas-, j’ai tout de même envie de cette fête, sans pour autant lui
donner trop d’importance, et sans tomber dans le piège de la consommation.
J’ai beau avoir un certain âge, et quatre enfants, je ne pense toujours pas
à la fête des mères comme MA fête, mais comme celle de ma Maman. Et j’éprouve
comme une gêne d’usurpatrice à être fêtée éventuellement ce jour-là, depuis que
ma mère a disparu.
On n’en faisait pourtant pas des tonnes, dans ma famille, ce
dimanche-là, je crois que l’ombre du maréchal Pétain, que nous tenions comme l’instigateur de cette journée solennelle, en
ternissait un peu la couleur. C’était comme si nous avions le sentiment,
enfants déjà, de nous faire peut-être
récupérer, manipuler. Et la meilleure défense que nous avions, qui vaut
toujours aujourd’hui, c’était d’éviter les achats obligés, et d’inventer notre
fête à notre façon. Il y avait toujours un bouquet de fleurs pour ma mère, mon
père y tenait, mais si nous pouvions trouver le temps d’aller les cueillir
nous-mêmes, c’était bien mieux. S’il y avait un cadeau, un dessin souvent,
c’était pour la joie de la voir le déballer, mais ce que j’aimais, ce
dimanche-là, c’était lui interdire l’accès à la cuisine et bricoler en famille
le repas dominical. J’avais déjà un livre de cuisine qu’il m’arrive d’utiliser
encore, La cuisine est un jeu d’enfant,
de Michel Oliver. Je me souviens du poulet cuit dans le gros sel qu’il avait
fallu casser avec un marteau. Doré, craquant et tendre à la fois, salé à point,
et si ludique !
Nous inversions les rôles et la servions à table, et, petite, je vivais ça
comme un jeu, comme ces moments de Carnaval où les puissants se mettaient au
service de leurs domestiques. Comme dans un jeu c’était exagéré : nous faisions
jouer à notre mère le rôle de la femme au foyer, cantonnée en temps normal dans
sa cuisine, même si nous savions bien que sa vie ne se limitait pas à nourrir
son petit monde. N’empêche qu’elle le nourrissait quotidiennement son petit
monde, en plus du reste, et que nous avions envie de l’en remercier. Voilà sans
doute pourquoi cela ne peut pas être MA fête, quelles tâches domestiques
pourraient-ils bien faire à ma place, mon compagnon, mes enfants, qu’ils ne
partagent déjà ?
Comme le 8 mars, journée de la femme, où exceptionnellement les hommes sont
supposés s’occuper une fois l’an, de la maisonnée, la fête des mères
serait-elle celle de la ménagère ? Celle où l’on offre le mixer ou le fer
à repasser dernier cri ? Voilà bien le hic (« Voilà le X »
disait mon voisin Jacques quand il avait bu un coup de trop). Ce serait
enjoliver cette image obsolette de la mère maîtresse de maison, mais c’est
aussi reconnaître que la majorité des tâches ménagères incombent encore aux
femmes dans les familles françaises, et les en remercier.
Google sort un clip pour la fête des mères qui a lieu aux USA le deuxième dimanche de mai. Des mères
modernes, de l’accouchement à un âge avancé, joyeuses, tendres, consolantes,
parfois dans leur cuisine, mais pas « en service », parfois derrière
un bureau, mais à la maison. Des mères très desperate housewives,
et puis une série de vignettes montrant des mères de tous les pays. « Tu
as toujours été là. Je veux te dire merci ». Le message d’un
adulte, qui se souvient de sa maman, plutôt que celui d’un enfant. Le message
que toute mère « normale » (ah ! ah !) entendrait avec
plaisir, sauf qu’il y a des moments de la vie où l’on se dit peut-être qu’on
n’a pas été présente, ou pas à la hauteur. Combien de mamans toujours courant
ne se sont-elles pas entendu dire par leur ado : « de toutes façons, tu n’es
jamais là » ? Le message d’une société qui dit aux mères : vous
devez être toujours là. Culpabilisant, presque.
En plus d’être « toujours
là » elle doit être aussi la plus jolie, comme on peut le
lire dans de nombreux messages pré-écrits à son attention.
« Tu as toujours été là. Je veux te dire merci ». Le message
qu’on voudrait aussi bien envoyer à son père, à un ami, à son
amoureux, à ses frères et sœurs, à chacun de ses enfants. Histoire de ne pas
oublier de dire à ceux que l’on aime qu’on les aime.
Mais comment se termine le clip de Google ? Avec le Père Noël, dans un
centre commercial : allez, on fait la fête, c’est juste un jeu !
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