vendredi 30 décembre 2011

La galette des rois de la triche.

« Tu peux me faire confiance, je ne te mentirai jamais.
Mentir, c’est mal. 
Ne me mens pas, sinon le Père Noël ne passera pas! »
Entre 3 et 6 ans, les enfants affabulent beaucoup. Mais  nous, sous prétexte de les faire rêver, de les aimer, que faisons-nous ?
Si je ne me posais pas cette question fondamentale, la confiance, j’adorerai Noël et toutes ses traditions, sans conditions. Magnifique période de jeux collectifs où depuis un siècle nous jouons tous (ou presque) en même temps au jeu du Père Noël, et dix jours plus tard à la galette des rois. 
A l’approche de l’Epiphanie, m’est revenue en mémoire la bêtise que j’ai faite l’année dernière, alors que, toute la famille réunie, nous tirions les rois. Je l’avais pourtant écrit, qu’il ne fallait pas tricher, ou, si on trichait, qu’il ne fallait pas se faire prendre*. Et voilà que j’ai foncé tête baissée. La plus petite était sous la table, sa grande soeur et son cousin, des grands déjà complices des adultes à propos du Père Noël, attendaient la distribution, leur chance. La fève était apparue à la découpe, et voilà que je prends la part avec la fève et la pose sans scrupules sur l’assiette de la petite, juste comme ça , pour lui donner le plaisir d’être reine… « Gloups » font les autres enfants, mais ils ont la délicatesse de ne pas broncher, pour ne pas gâcher la joie de la petite reine. Et moi je sens leur regard, leur interrogation, leur déception, mais il est trop tard. Deux fois nulle la grand-mère, prise en flagrant délit de tricherie, et qui ne leur a pas donné leur chance 
De toute façon, avec la galette, chacun y va de sa petite tricherie. Celui-là soulève la pâte pour voir s’il a la fève, celui-ci y plante sa fourchette. Celle-là, timide, l’avale ou la cache pour ne pas se distinguer, et cette autre, une fois la fève trouvée, laisse sa part de galette sur le bord de l’assiette, sans la manger. 
C’est pourtant bon, une bonne galette, mais hors la période de jeu, là, début janvier, qui aurait l’idée de manger ce gâteau, sans fève ? 
« Tu as la fève ? C’est quoi ? Montre ! » Pas toujours facile à identifier, la fève se compare avec les précédentes, passe de mains en mains, et finit souvent dans une boîte à collection. 
Ce qui est bon dans la galette des rois, c’est le jeu. Tous autour d’une table, on coupe des parts égales pour chacun des joueurs, sans en laisser, et puis on distribue comme on distribue les cartes. Et chacun tente sa chance, même celui qui n’aime pas trop ce gâteau. 
Alors, non, cette fois on ne trichera pas !
Si le plus jeune n’a pas la fève, il aura la gloire d’être celui qui a désigné le roi ou la reine, aux souverains de le remercier, de lui rendre hommage, de le nommer prince ou écuyer du roi. 
Parce que si on apprend en jouant, si le jeu est une petite parenthèse « comme dans la vraie vie » où les enfants s’initient aux règles de la vie en communauté et aux aléas, autant apprendre à respecter les règles du jeu.
On ne peut pas toujours être le roi ou la reine, oui, c’est dur, mais aux autres joueurs de trouver des consolations, donner un gage au roi par exemple, lui faire chanter une chanson, enchaîner sur un autre jeu collectif.
A Noël, cette année, nous avons joué aux Ambassadeurs. C’est un jeu de mime qui ne nécessite aucun matériel, mais un peu de monde. On forme deux équipes. Dans chaque équipe, chacun à son tour devra faire deviner un mot à ses équipiers sans prononcer une parole, juste par le mime. Ce mot lui a été attribué par l’équipe adverse, on aura donc tenu compte des connaissances du joueur, de sa capacité à mimer ce mot, on aura donné aux adultes un mot plus difficile, mais connu des plus jeunes. Parfois ce sont des métiers qu’il faut deviner, parfois des personnages, parfois des concepts… Cela dépend des joueurs et de leurs compétences. En général on rit beaucoup, et on ne se soucie pas de savoir qui perd ou qui gagne, plutôt de voir comment celui qui mime va s’y prendre.


J’imagine que le roi et la reine de la galette auraient à se faire comprendre par le mime auprès de la Cour. Pas facile de tricher à ce jeu-là...

lundi 12 décembre 2011

BABAR, un personnage magique, le succès de l’improbable.


En 1971, j’ai passé une année très agréable à étudier avec beaucoup de  sérieux, mais de bonheur plus encore, la littérature enfantine. J’étais en Master de Lettres Modernes et le sujet de mon mémoire était Analyse du récit et de l’idéologie dans les premiers albums de Babar.
Histoire de Babar le petit éléphant
1971 - 1931 (naissance de Babar) - 2011.

C’était l’année de ses 40 ans, il en a maintenant 80. Bien que d’aucuns se soient amusés, récemment, à faire de lui un grand-père (Il paraît que Flore a eu un enfant) il a bien de la chance de ne pas vieillir. Et comment a-t-il encore tant de succès auprès des petits enfants, qui pourtant ne le connaissent plus par les livres mais par les films, la plupart du temps ?

L'Art de Babar, Nicholas Fox Weber, Nathan Image 1989



Le succès des albums de Babar s’explique par le talent du peintre Jean de Brunhoff, magnifié par le grand format qui permettait de contempler les images comme de vrais tableaux, ses dons de conteur, l’art qu’il a de passer de l’écrit au dessin (presque une bande dessinée, quand ce genre en était à ses débuts). Et par les personnages forts, ceux qui l’entourent : Céleste, Arthur, Zéphir le petit singe, La vieille dame, Pom, Flore et Alexandre, et bien sûr Babar, l’enfant devenu roi.

Babar s’est depuis longtemps échappé de ces albums. Il reste un monstre sacré.

Qu’ont de commun les petits français de  1931 – 1971 – 2011 : ils ont BABAR. Avant de savoir dire éléphant ils savent que cet animal a un prénom, ils disent un Babar. Et puis, ils apprennent à faire la différence entre Babar et n’importe quel autre éléphant. Un éléphant debout en complet vert.

Dans La morphologie des contes, Vladimir Propp analyse la structure narrative commune aux contes, et les premiers albums de Babar, ceux qu’a écrit Jean de Brunhoff (le père de Laurent), suivent le schéma classique qui fait le succès des contes. Partant d’une situation initiale heureuse (Le petit Babar joue dans la forêt au milieu des autres éléphants), interrompue par un événement – la rupture ou le manque (Le méchant chasseur a tué la Maman), suivi d’un déplacement - le Voyage (Babar s’enfuit vers la ville), le héros se trouve confronté à des épreuves. Pour les dépasser, il reçoit l’aide d’autres personnages, magiques, les adjuvants (La vieille Dame qui lui donne son porte-monnaie, par exemple). D’épreuves en épreuves, le héros grandit, jusqu’au mariage – ou réparation, fonction qui s’apparente à la situation heureuse initiale. Babar devient roi et épouse Céleste.

Les autres albums de Babar par Jean de Brunhoff suivent le même schéma. Ainsi dans Babar et le Père Noël, tout va bien à Célesteville, mais les enfants – Pom, Flore, Alexandre, accompagnés d’Arthur et Zéphir- sont en attente du Père Noël, qui ne vient pas jusqu’au pays des éléphants (le manque). Babar part à sa recherche et rencontre bien des difficultés dans sa quête, aidé par les souris, les oiseaux, et un petit chien, jusqu’à ce que le Père Noël lui-même, touché par sa requête, lui délégue ses pouvoirs. Après le voyage et ses épreuves, retour à Célesteville et à l’harmonie initiale.

Héros de conte traditionnel, donc, Babar est le type même du personnage magique, lui si gros qui s’élève en ballon avec Céleste pour son voyage de noce, ou qui va jusqu’à voler en tenue de Père Noël avec, sur le dos, sa hotte de jouets pour les enfants éléphants. Merveille de l’impossible.

Si puissant soit-il, il n’a plus sa superbe dès qu’il se retrouve nu. Dans Le voyage de Babar, il perd sa couronne dans un accident de ballon dirigeable. Très vite, le voilà à la merci des humains, qui font de lui un vulgaire éléphant de cirque. Quoi de plus attachant qu’un personnage invincible et néanmoins doux et fragile comme un petit animal.

On remarque  presque à chaque page l’importance des vêtements dans les premiers albums de Babar, qui font de cet éléphant un personnage plus humain que les cannibales  qui ne savent pas s’habiller (Le voyage de Babar, à situer dans son époque : 1939). Entrant à 4 pattes dans le bâtiment où se trouvent les costumes, les éléphants ont fière allure quand ils ressortent, sur 2 jambes avec leurs habits. Et chaque événement est prétexte à faire la fête et à revêtir les tenues les plus extraordinaires. A fond dans le jeu symbolique.
Le roi Babar
L’enfant aussi marche à quatre pattes avant de se dresser sur deux. C’est peut-être pour cela que Babar appartient aux plus petits.
Babar est un des rares héros des petits enfants qui soit un adulte (j’allais écrire un homme).

Devenu «peluche », ce personnage magique, ce héros, ce roi, ce Papa, on le sert dans ses bras avec tendresse, on l’adopte peut-être comme doudou, même. Mais il reste roi : on ne joue pas à l’école ou au restaurant avec Babar au même titre que les autres jouets.
Devenu «figurine», il sera essentiellement manipulé tout seul, ou entouré de sa famille, mais il ne rejoint que rarement d’autres héros dans des aventures imaginaires, parce qu’il n’est pas de la même génération, pas seulement à cause de ses 80 ans.



PS. Sur le Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro, le ministre de l'Éducation Luc Chatel a montré son ignorance en comparant Hollande à Babar  et Sarkozy à Astérix : « Il y a un personnage de bande dessinée qu'on connaît bien, qui s'appelle Babar. Babar, il est sympathique, c'est le roi des éléphants. C'est l'histoire qu'on raconte aux enfants pour les endormir le soir. (…) Moi je préfère Astérix, voyez. Astérix, c'est celui qui est courageux, celui qui est déterminé, celui qui est protecteur, celui qui sait prendre des décisions ». Tous ces qualificatifs conviennent parfaitement au Roi Babar.