mercredi 28 mars 2012

Anniversaire surprise et poisson d’avril : les dindons de la farce


Au départ il y a une bande de quinqua-sexagénaires, qui organisent une fête pour l’anniversaire d’une des copines. On va faire un dîner chez M, il faut transporter des tables et des chaises, C se charge des verrines, D des petits bols pour la salade de lentille, F apporte les fromages. Pour la déco, trois copines s’en occupent, ce sera un thème marin… car l’anniversaire aura lieu le 1er avril. L’une a pastiché La maman des poissons, les autres répètent pour la chanter en chœur. Et puis tout le monde va se costumer, maillot rayé, c’est facile, mais comment faire les chapeaux de marins. Et qui saurait plier des bateaux en papier ? C’est un grand jeu auquel chacun apporte sa patte, son savoir faire, son enthousiasme, moi j’assiste par hasard à ce rendez-vous des organisatrices, et j’adore, c’est plein d’imagination, de rires, et plein aussi d’affection à l’égard de celle dont on fêtera l’anniversaire ce jour-là.
Au nom de cette affection, on lui prépare une surprise. On sera donc là avant elle, on lui aura fait croire qu’il s’agit d’un autre rendez-vous, tout le monde sera costumé – mais pas elle, forcément. Et si elle se doutait de quelque chose ? Et si quelqu’un vendait la mèche ? Les organisatrices poussent le zèle assez loin pour piéger leur vraie copine bien aimée, une fausse adresse mail, un faux correspondant chez qui elle est sensée se rendre… 
Mais c’est quoi ce jeu, dont l’héroïne, à qui vraiment on veut faire plaisir, est exclue ? Comme je suis là en observatrice, ne faisant pas partie de la bande, cette ambigüité me saute aux yeux. Déjà être l’héroïne de la soirée, celle autour de qui tous les regards se tournent, ce n’est pas toujours facile, surtout pour souhaiter ses 60 ans (!), mais là c’est carrément être le dindon de la farce ! Pour avoir plus d’une fois participé à la préparation de ce genre de fête, j’en connais la joie, c’est un jeu auquel j’aime beaucoup jouer, mais j’en connais aussi la difficulté. Une belle surprise, oui, mais quel rôle réserve-t-on dans ce jeu à celle ou celui que l’on veut pourtant fêter ? Non seulement j’ai 60 ans mais en plus je me suis fait piéger par mes meilleurs amis, je suis trop nulle ! Larmes d’émotion, celle de découvrir tous ces amis à l’œuvre depuis des jours et des jours pour fêter leur copine, mais qui se sont aussi moqué de vous…

J’aime les blagues, les farces, j’aime au 1er avril ceux qui racontent des histoires abracabrantesques, ce jour-là je guète à la radio les infos, en espérant qu’ils auront inventé quelque chose de drôle. Je suis piètre menteuse alors je me lance rarement à piéger les autres, mais je trouve ce jeu du 1er avril très amusant. Surtout ne pas y renoncer, ne pas renoncer non plus aux poissons dans le dos, cela fait partie de ces jeux collectifs qu’on partage avec tant d’inconnus. Même quand on est celle qui se fait avoir.

La blague, c’est un mensonge, mais dans le cadre d’un jeu. Ce n’est pas un mensonge pour de vrai ! Plus elle est inventive, plus elle est réussie. Le premier dimanche d’Août, à Moncrabeau, chez les Gascons, a lieu le traditionnel concours de menterie. Si cela vous amuse, vous pouvez voir et écouter le roi des menteurs 2008, et son élevage de taupes. L’un des critères des académiciens qui élisent le roi, c’est la saveur de la menterie, d’ailleurs les juges expriment leur verdict en cuillérées de sel. Des mensonges, mais avec lesquels on se régale…

Le dindon de la farce, c’est le gentil cocu dont on sourit sans méchanceté, qu’on aime bien, même. Philipe Tesson emploie cette expression pour parler de François Bayrou, cet homme politique en qui chacun de nous se reconnaît un peu, selon lui, et qui emporte la sympathie plus que les intentions de vote. Alain Rey nous explique que cette expression viendrait des farces dans lesquelles les pères  se faisaient manipuler par les jeunes, et se trouvaient pères dindons (le dindon étant réputé assez bêta).
Je suis déçue, je croyais que le dindon était farci avec sa propre farce, que l’expression avait une origine culinaire… Gourmande.

jeudi 15 mars 2012

Un cochon comme partenaire de jeu

Cela ressemble à un poisson d'avril, mais nous ne sommes qu'à la mi-mars, Courrier International relaie une information pour le moins insolite : la création par des chercheurs Néerlandais d'un jeu interactif pour distraire les cochons. Cette info est reprise par de nombreux blogueurs amusés, bien sûr elle m'a particulièrement interpellée !


Que les cochons jouent, voilà déjà une découverte. Sans doute jouent-ils à la bagarre quand ils sont petits, comme les chiots ou les lionceaux, mais ils ont aussi des jouets, balles ou bouts de bois reliés à une chaîne. Un genre de Jokari en quelque sorte. Et pourquoi leur donne-t-on des jouets ? Pour éviter qu'ils ne s'agressent par ennui, et ne se mordent la queue par désoeuvrement. L'harmonie sociale grâce au jeu, donc. Mieux, c'est "une réglementation européenne (qui) oblige les éleveurs à prévoir des distractions dans les porcheries", au nom du bien-être des porcs.


On se croirait dans la ferme des Contes du Chat perché, quand Delphine et Marinette entreprennent d'apprendre à lire aux boeufs ou jouent avec tous les animaux à l'Arche de Noé (Le cochon, d'ailleurs est assez mauvais joueur, si je me souviens bien).
Mais l'heure est maintenant aux jeux numériques et interactifs. L'équipe néerlandaise propose d'équiper les porcheries  d’écrans tactiles, sur lesquels s'animent des ronds lumineux aux couleurs psychédéliques. On imagine nos cochons en contemplation devant leur écran plat. Mais ils peuvent "interagir", poursuivre avec leur groin ces ronds de lumière, les pousser vers des formes géométriques, c'est certainement très amusant pour un cochon ! Comme ils se lasseraient vite de ce jeu solitaire, il leur faut des partenaires de jeu. C'est avec des hommes, et par Ipad interposé, qu'ils vont donc jouer. Chacun déplace des formes lumineuses, l'un du bout du doigt, l'autre avec son groin. Quand les deux images se superposent, c'est gagné, " les joueurs ont droit à un véritable feu d’artifice à l’écran".


Des designers ont travaillé à la création de ce jeuKars Alfrink, Irene Van Peer et Hein Lagerweij- et même un philosophe -Clemens Driessen, qui tient à préciser que les animaux ne doivent recevoir aucune récompense quand ils gagnent, afin que cela "reste un jeu", le jeu étant généralement réputé libre et gratuit. Pour mémoire, Caillois qui après Huizinga tenta de définir ce qu'est le jeu, le décrit comme une activité libre (choisie), séparée  (dans des limites d'espace et de temps), incertaine (l'issue n'est pas connue à l'avance), improductive (qui ne produit ni biens, ni richesses), réglée et fictive (accompagnée d'une conscience de la réalité seconde). Improductive, mais juste pour le cochon, qui ne gagne rien que le plaisir visuel d'un bouquet de couleurs.


Petite, et très naïve, je croyais sincèrement que le cochon Antoine que je retrouvais chaque année dans la ferme de mes grands-parents était le même, et qu'il me reconnaissait. Je ne crois pas que j'aurais été assez crédule pour imaginer qu'il était capable de jouer avec moi, en respectant les règles, en faisant semblant de, en employant le conditionnel... mais qui sait, peut-être le cochon de l'année poussait-il l'empathie jusqu'à penser "on dirait que je serais le même cochon que celui de l'année dernière"... Tout est si bon dans le cochon !