lundi 25 février 2013

Ludique, la neige


Je n’aime pas la neige, c’est froid, ça glisse, ça bloque tout…

Mais quand on est bien au chaud et que quelqu’un, soudain, jetant un œil dehors, s’écrie « Il neige ! », tout s’arrête un instant, dans un sourire général, un frisson, non pas de froid, mais de plaisir, une excitation joyeuse. « Voilà le soleil ! » aussi nous fait sourire, mais chacun ne se précipite pas à la fenêtre pour autant.  « Il pleut ! » nous fait carrément grimacer, et même  la grêle, si elle provoque les commentaires sur  la taille des grêlons,  ne nous amuse pas.

Il neige. Le décor change. La chaussée ne se distingue plus des trottoirs ou des champs. Tout ce gris, quelques instants auparavant, devient magnifique. Métamorphose de la ville comme de la campagne. C’est beau. En cette période de Carnavals, la neige déguise tout. Et tous ces confettis blancs, quelle fête !


Il neige. Dans une région où elle ne s’installe pas pendant des mois, la neige ouvre une parenthèse ludique. Le jeu commence aux premiers flocons et s’arrêtera à  la fin du blanc. Le jeu, les jeux, constructions de bonhommes, d’igloos, de lanternes géantes, glissades sur des luges plus ou moins improvisées, batailles de boules de neige, auxquels les adultes s’invitent eux aussi. Puisque le car scolaire ne passe pas aujourd’hui, puisqu’il est conseillé de ne pas prendre sa voiture, on ira avec les enfants jouer avec la neige. Et j’en connais qui n’ont pas besoin d’un enfant prétexte pour se précipiter jouer dehors.

Éphémères, ces constructions. Et en cela aussi ludiques.


Il neige. Les chats aussi s’en amusent. Je fais de profondes traces, m’enfonçant à chaque pas dans la neige, en allant chercher du bois pour le feu, et la petite chatte me suit et saute de trace en trace,  se cache dans chaque trou, s’aplatît pour ne pas être vue. Le chat, lui, fait des glissades. Pattes froides mais ça ne les empêche pas de faire la chasse aux flocons.

Il neige. Les voitures dérapent, les routes sont impraticables, ce n’est pas drôle pour tout le monde la neige. Comme à chaque alerte rouge de la météo, les médias nous montrent de malheureux naufragés en panne au milieu de nulle part, mais des propos de chacun se dégage une certaine philosophie, s’esquisse un sourire. Rien à voir avec les intempéries habituelles, inondations, tempêtes, juste catastrophiques. Il s’en faut de peu que ces personnes (grandes personnes, pourtant) ne plantent là leur voiture pour aller courir dans le blanc.

En sortant du restaurant, nous débouchons rue de l’école polytechnique au milieu d’une grande bataille de boules de neige. De jeunes adultes en plein jeu. Ça s’interpelle, ça rit, et surtout ça se canarde. Je rentre la tête dans les épaules et me demande comment tracer mon chemin au milieu de ces joyeux combattants, sans recevoir une boule de neige glacée, brrr, je n’aime pas ça… L’un d’eux, alors, lance à tous : « Attention ! Il y a des civils ! ». Intervention magique, qui nous permet de trouver une place dans leur jeu guerrier, sans l’interrompre mais sans subir de dommages collatéraux.  

J’aime bien la neige, finalement.




jeudi 7 février 2013

Le jeu de 7 familles, spécificité française



Le premier Jeu des 7 familles français est édité en 1876, dessiné par André Gill, caricaturiste  et ami de Jaurès, à qui nous devons des portraits de tous les grands hommes de l’époque. André Gill, qui donna son nom au célèbre cabaret Le Lapin Agile. Pour chacune des 7 familles, 6 cartes : autour du Père on trouve la mère, le fils,  la fille, le valet et la cuisinière. Il y  a les familles Ministre, Général, Docteur, Avocat, Mandarin, Contrebandier et Potence. Des notables et des brigands : rien que des gens peu recommandables, en somme ! Avant lui, les anglo-saxons avaient créé des familles, autour de métiers aussi, mais il n’y avait pas SEPT familles !

Les anglo-saxons ont inventé les Happy families
Présenté au Musée de la carte à jouer à Issy les Moulineaux, le jeu Game of Dr Busby, fut édité en 1843 dans le Massachusetts. Tout de suite très populaire, nous dit Agnès Barbier, commissaire de l’exposition, qui nous l’a fait visiter avec beaucoup d’humour et de passion. Le jeu est composé de 20 cartes réparties en 4 familles, celle du docteur, celles du jardinier, de la laitière, et des Ninni-come-Twich, dont personne ne semble savoir clairement qui ils sont.  (Appel aux anglicistes  - un indice : leur symbole est un œil). Le but du jeu n’est pas de réunir le plus de familles possibles, mais de gagner toutes les familles.
Quelques années plus tard, en Angleterre, est édité le premier des Happy families.  Cette fois les cartes sont plus nombreuses, puisqu’il s’agit de 11 familles de 4 personnes, parents et enfants. Les dessins sont de John Tenniel, illustrateur des Aventures d’Alice au pays des merveilles et caricaturiste. Grosses têtes sur un petit corps, familles regroupées autour d’un métier, ces caractéristiques se retrouvent dans de nombreux jeux anglais, comme dans celui d’André Gill. 

Le nombre 7 spécifiquement français
Dans les jeux anglais Happy families, le nombre de familles et leur composition sont assez variables. En France, le nombre 7, et la famille de 6, s’imposent. Le jeu de SEPT familles est spécifiquement français, même si nous partageons avec les anglo-saxons les caricatures et  les noms de famille, noms de métiers, humoristiques. Le docteur fait vite place au cordonnier, au peintre ou au boucher. Tout en jouant, en riant de leurs noms et de leurs drôles de têtes,  des situations dans lesquelles l’illustrateur les met, on entrevoit  la vie quotidienne des petits commerçants et artisans à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. Le jeu s’adresse alors aux enfants plus qu’aux adultes. Rapidement le grand-père et la grand-mère paternels prennent la place des serviteurs dans la famille. Et peu à peu de nouveaux métiers apparaissent.

En Allemagne, un jeu similaire est édité : le QUARTET. Il y a 4 cartes à réunir sur un même thème, mais pas de famille. Cela permet de décliner des notions d’histoire, de géographie, de sciences naturelles, d’art, à l’infini, c’est un jeu instructif auquel on joue à plusieurs, en échangeant des cartes, ou seul en observant, regroupant, par curiosité et pour le plaisir d'apprendre. Parfois les quatre cartes forment une petite séquence. C’est toujours sur ce principe de cartes qui vont par quatre que sont créés la plupart des jeux contemporains.
Je connais néanmoins un jeu de 7 familles récent qui a conservé des dessins humoristiques et les notions familiales classiques, quoique l’éditeur, Piatnik, soit autrichien, mais les noms sont en Français : père, mère, fils, fille, auxquels se joignent l’oncle et la tante.  Ce sont des animaux,  et dans la famille Basse cour, par exemple, avec le père Coq, la mère Poule, se trouve l’oncle Dindon. Les six cartes d’une famille forment une frise, à la manière d’un puzzle, et je me souviens que c’était un de mes plaisirs d’enfant de faire ma famille comme on fait un puzzle.

 Mon enfance si proche et déjà dans les archives de l’Histoire !
Lors de la visite du Musée de la Carte à jouer, plusieurs d’entre nous, les plus âgés, s’exclamaient : « Ah, oui, celui là je l’ai eu ! ». J’ai joué moi aussi avec ce jeu qui montrait des familles de tous les coins de la terre dans leurs activités quotidiennes, traitées avec humour.  Humour très limite, avec le recul du temps, témoignage d’une époque. Je ne sais pourquoi, tandis que l’illustrateur se moquait (plutôt gentiment) des familles Texas, Mohicans, Sénégal et Japon, tendre était le regard porté sur les Esquimaux. C’était la famille que j’aimais gagner, je m’en souviens ! Ce n’est pas la première fois que je retrouve des jouets de mon enfance dans un musée. À Poissy, le train électrique est celui de mon frère et la maison de la garde-barrière MA maison, mais cela fait toujours un drôle d’effet.

Et maintenant ? Le jeu des 8 familles
Visitant ce musée en groupe, j’ai eu le sentiment que les jeunes étaient moins intéressés, bien que soient aussi exposées des cartes plus récentes. Ce jeu a perdu de son attrait. En termes de mécanisme de jeu, il reste facile à jouer et très riche : il demande de l’attention,  de la mémoire, le hasard y a très peu de place (juste assez pour qu’on puisse perdre sans perdre aussi la face), on cache ses cartes – plaisir du jeu de cache-cache - et surtout c’est un jeu d’échange, dans lequel on s’adresse directement aux autres joueurs. Regards complices, jubilation quand on peut répondre « Pioche ! » à celui qui cherche à vous dépouiller d’une famille.
Est-ce le nom même, la composition de cette famille patriarcale, qui embarrasse ? Un jeu des 8 familles a été édité récemment : aucune de ses familles n’est identique. Famille monoparentale, homoparentale, recomposée, famille traditionnelle, tous peuvent s’y retrouver. L’idée est amusante, le jeu change car le nombre de cartes est différent pour chaque famille : sera-t-il plus facile de regrouper 3 cartes (maman et 2 enfants) ou 8 (Papa, ses enfants, l’amie de papa et ses enfants, leur enfant commun) ? En tout cas il respecte les attributs du jeu de familles : témoin de son temps, outil d’instruction civique, vecteur d’échanges entre les joueurs. Sans oublier ce qui, à mon sens, est essentiel dans l’éducation : le sens de l’humour.