mercredi 7 octobre 2015

Je ne joue pas

À regarder le monde ”sous couleur de jouer”, comme disait Jacques Henriot, on finit par voir du jeu partout, et parfois on se trompe.

La chasse à courre
Quand vient l’automne et que je rencontre aux abords de la forêt les chasseurs à courre, avec leur belle tenue, chiens et chevaux, et tous les rituels qui vont des boutons de redingote à la bénédiction des chiens, je trouve cela très amusant, et j’imagine qu’il s’agit d’un grand jeu, avec des règles bien précises et des rôles attribués à chacun.


Boutons de vènerie

Roger Caillois a tenté en 1958 (Les jeux et les hommes) une définition du jeu qui reste d’actualité : le jeu est une activité libre, séparée, incertaine, improductive, réglée, fictive. Sous cet éclairage, la vénerie me semblait a priori un jeu, auquel les équipages participaient de leur plein gré, avec même une sensation de liberté extrême chevauchant en forêt, dans un espace et pendant un temps bien défini, sans être sûrs d’abattre le gibier, sans gain, mais avec des règles très précises, et tout un rituel qui fait de chaque chasse une fête. 
Si les gamers connaissent le gamekeeper comme un spécialiste de jeux de société et de figurines, le gamekeeper est celui qui garantit les bonnes conditions de la chasse à courre, du game, en Angleterre. Cela me confortait dans l’idée que c’est un jeu.

Gamekeeper, Ansdell
Pourtant mes amis veneurs étaient outrés quand je leur ai dit combien je trouvais leur jeu intéressant, avec ses costumes et ses coutumes, ses musiques et ses cérémonies. ”Pourquoi n’est-ce pas un jeu ? leur demandai-je ? - Parce qu’on tue”, m’a répondu C., et m’a sauté aux yeux le dernier critère de Caillois : une activité fictive. Hélas non, ils ne font pas semblant, en effet. 
En Angleterre, la chasse à courre est considérée comme un sport, en France comme une tradition. En tant que telle, cette tradition est assez fascinante, avec ses coutumes ancestrales et son ouverture entre autres aux cyclistes à cheval sur leur VTT.

SI je joue, alors c’est un jeu
Ce n’est pas un jeu parce que c’est pour de vrai, soit. Ce n’est pas un jeu parce que les participants ne considèrent pas cela comme un jeu. Henriot l’a dit et redit, pour qu’il y ait jeu, il faut qu’il y ait un joueur, qui dit, ou pense, ou sent intuitivement peut-être ( ça c’est pour mes chats) ”je joue”.

Dans les médias, la métaphore ludique est devenue banale, jeux politiques, jeux guerriers, jeux des finances, mais aucun des ces ”joueurs” ne joue. On confond jeu et stratégie. On oublie que l’intention de jouer est primordiale.

C’est pourquoi toutes ces pédagogies dites ludiques , ces ”jeux éducatifs" sonnent faux. L’enfant joue-t-il ou se joue-t-on de lui ?

Faire de toute fête un jeu ?
J’ai souvent ici montré comme certaines traditions populaires étaient assimilables à des jeux, auxquels un grand nombre de familles joueraient en même temps : Halloween, la galette des rois, le Père Noël… De là à faire de toute grande fête un jeu, il n’y a qu’un pas, à ne pas franchir sous peine de blesser les participants, qui ne jouent pas. C’est parfois juste une question de vocabulaire. Entre ”se déguiser” et ”se costumer” par exemple. On peut revêtir un uniforme, un costume traditionnel, une robe de mariée, sans intention de jouer. Ou au contraire pour faire semblant d’être un soldat ou jouer au mariage. C’est tout de même un rôle que l’on tient, mais ce n’est pas pour autant un jeu. J’ai parfois fait l’amalgame, sans penser à mal, avec ma fâcheuse manie de ne rien prendre trop au sérieux, et mon appétit de jeu, qui pour moi n’est jamais péjoratif, et j’ai eu tort. 
Le jeu, c’est quand on joue. Point. 

Bruegel, Jeux d'enfants