En
1971, j’ai passé une année très agréable à étudier avec beaucoup de sérieux, mais de bonheur plus encore,
la littérature enfantine. J’étais en Master de Lettres Modernes et le sujet de
mon mémoire était Analyse du récit et de
l’idéologie dans les premiers albums de Babar.
C’était
l’année de ses 40 ans, il en a maintenant 80. Bien que d’aucuns se soient
amusés, récemment, à faire de lui un grand-père (Il paraît que Flore a eu un
enfant) il a bien de la chance de ne pas vieillir. Et comment a-t-il encore
tant de succès auprès des petits enfants, qui pourtant ne le connaissent plus
par les livres mais par les films, la plupart du temps ?
L'Art de Babar, Nicholas Fox Weber, Nathan Image 1989 |
Le succès des albums de Babar s’explique par le talent du peintre Jean de Brunhoff, magnifié par le grand format qui permettait de contempler les images comme de vrais tableaux, ses dons de conteur, l’art qu’il a de passer de l’écrit au dessin (presque une bande dessinée, quand ce genre en était à ses débuts). Et par les personnages forts, ceux qui l’entourent : Céleste, Arthur, Zéphir le petit singe, La vieille dame, Pom, Flore et Alexandre, et bien sûr Babar, l’enfant devenu roi.
Qu’ont
de commun les petits français de
1931 – 1971 – 2011 : ils ont BABAR. Avant de savoir dire éléphant ils savent que cet animal a un
prénom, ils disent un Babar. Et puis,
ils apprennent à faire la différence entre
Babar et n’importe quel autre éléphant. Un éléphant debout en complet vert.
Dans
La morphologie des contes, Vladimir
Propp analyse la structure narrative commune aux contes, et les premiers albums
de Babar, ceux qu’a écrit Jean de Brunhoff (le père de Laurent), suivent le
schéma classique qui fait le succès des contes. Partant d’une situation initiale heureuse (Le petit
Babar joue dans la forêt au milieu des autres éléphants), interrompue par un
événement – la rupture ou le manque (Le méchant chasseur a tué la
Maman), suivi d’un déplacement - le Voyage
(Babar s’enfuit vers la ville), le héros se trouve confronté à des épreuves. Pour les dépasser, il reçoit
l’aide d’autres personnages, magiques, les adjuvants
(La vieille Dame qui lui donne son porte-monnaie, par exemple). D’épreuves
en épreuves, le héros grandit, jusqu’au mariage
– ou réparation, fonction qui s’apparente
à la situation heureuse initiale. Babar devient roi et épouse Céleste.
Les
autres albums de Babar par Jean de Brunhoff suivent le même schéma. Ainsi dans Babar et le Père Noël, tout va bien à
Célesteville, mais les enfants – Pom, Flore, Alexandre, accompagnés d’Arthur et
Zéphir- sont en attente du Père Noël, qui ne vient pas jusqu’au pays des
éléphants (le manque). Babar part à
sa recherche et rencontre bien des difficultés dans sa quête, aidé par les
souris, les oiseaux, et un petit chien, jusqu’à ce que le Père Noël lui-même,
touché par sa requête, lui délégue ses pouvoirs. Après le voyage et ses épreuves,
retour à Célesteville et à l’harmonie initiale.
Héros
de conte traditionnel, donc, Babar est le type même du personnage magique, lui si gros qui s’élève en ballon avec Céleste
pour son voyage de noce, ou qui va jusqu’à voler en tenue de Père Noël avec,
sur le dos, sa hotte de jouets pour les enfants éléphants. Merveille de
l’impossible.
Si
puissant soit-il, il n’a plus sa superbe dès qu’il se retrouve nu. Dans Le voyage de Babar, il perd sa couronne
dans un accident de ballon dirigeable. Très vite, le voilà à la merci des
humains, qui font de lui un vulgaire éléphant de cirque. Quoi de plus attachant
qu’un personnage invincible et néanmoins doux et fragile comme un petit animal.
On
remarque presque à chaque page
l’importance des vêtements dans les premiers albums de Babar, qui font de cet
éléphant un personnage plus humain que les cannibales qui ne savent pas s’habiller (Le voyage de Babar, à situer dans son époque : 1939). Entrant
à 4 pattes dans le bâtiment où se trouvent les costumes, les éléphants ont
fière allure quand ils ressortent, sur 2 jambes avec leurs habits. Et chaque
événement est prétexte à faire la fête et à revêtir les tenues les plus
extraordinaires. A fond dans le jeu
symbolique.
Le roi Babar |
Babar
est un des rares héros des petits enfants qui soit un adulte (j’allais écrire un homme).
Devenu
«peluche », ce personnage magique, ce héros, ce roi, ce Papa, on le sert
dans ses bras avec tendresse, on l’adopte peut-être comme doudou, même. Mais il
reste roi : on ne joue pas à l’école ou au restaurant avec Babar au même titre
que les autres jouets.
Devenu
«figurine», il sera essentiellement manipulé tout seul, ou entouré de sa
famille, mais il ne rejoint que rarement d’autres héros dans des aventures
imaginaires, parce qu’il n’est pas de la même génération, pas seulement à cause
de ses 80 ans.
PS.
Sur le Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro, le ministre
de l'Éducation Luc Chatel a montré son ignorance en comparant Hollande à
Babar et Sarkozy à Astérix : «
Il y a un personnage de bande dessinée qu'on connaît bien, qui s'appelle Babar.
Babar, il est sympathique, c'est le roi des éléphants. C'est l'histoire qu'on
raconte aux enfants pour les endormir le soir. (…) Moi je préfère
Astérix, voyez. Astérix, c'est celui qui est courageux, celui qui est
déterminé, celui qui est protecteur, celui qui sait prendre des décisions ».
Tous ces qualificatifs conviennent parfaitement au Roi Babar.