jeudi 19 mai 2016

Saul Steinberg, écrivain qui dessine et qui joue

La ligne, de Saul Steinberg, c’est un dessin en 29 tableaux, de 10 m de long, qui s’organise de part et d’autre d’une ligne continue, parfois horizon où se devinent des bateaux, parfois plan d’eau pour des baigneurs, chaussée sur laquelle débarquent les usagers du métro, rails de tramway, rambarde d'un balcon… Tout commence et se termine par la main qui dessine.



La ligne A, Shön, ©Paul Bonmartel

J’ai découvert ce tableau grâce à un spectacle de marionnette au Théâtre Mouffetard. La Ligne, qu'il percevait comme un long voyage, avait inspiré Roland Shön pour créer La ligne A. Un spectacle très inventif qui donnait bien envie d’aller voir de près La lIgne, la vraie.
La ligne A, Shön, ©Paul Bonmartel
Saul Steinberg se définissait comme  écrivain-dessinateur, il aurait pu ajouter joueur. Car chaque dessin, chaque masque, chaque tableau exhale un parfum ludique. 

Saul Steinberg. Girl in bathtub, 1949
Saul Steinberg. Nose Mask.
Photo by Irving Penn. New York, 1966
J’aime beaucoup la boîte cubique dans laquelle il se cache…
Saul Steinberg. In a box, 1951
Après avoir montré la vidéo de La Ligne aux enfants de l’atelier, nous avons mis un grand papier au sol, et dessiné au feutre,  tout du long, une ligne noire. Immédiatement inspirés, les enfants ont occupé l’espace, qui à plat ventre, qui à genoux, et toute une heure ils ont dessiné.



Manquant d’espace pour l’exposer, nous avons plié l’oeuvre collective en accordéon, comme Saul Steinberg l’avait fait de sa Ligne, un jeu de surprises qui ne se dévoilent qu’à ceux qui déplient délicatement ce drôle d’accordéon. (Atelier à l'École Suédoise de Paris, en collaboration avec Maria Dumage)




lundi 2 mai 2016

Terrains d’aventures




"Je ne sais pas si je vous ai dit que dans le quartier, tout près de ma maison, il y a un terrain vague terrible, où on trouve des caisses, des papiers, des pierres, des vieilles boites, des bouteilles, des chats fâchés et surtout une vieille auto qui n’a plus de roues, mais qui est drôlement chouette quand même." 
Le petit Nicolas et les copains, les Campeurs. (1963)



Un terrain à l'abandon, investi par des enfants
Ni jouets, ni structures normés, mais des planches, des carcasses, des ustensiles abandonnés -pour bâtir cabanes et véhicules- de la terre, des cailloux, de l'herbe, des arbres -pour creuser, grimper, planter, cuisiner de la potion magique ou composer des bouquets, ou même allumer  un feu. Un espace de liberté pour les enfants, au coeur de la ville.
De semi-liberté plutôt, car des adultes sont là, discrets mais mais bien présents, qui veillent à la sécurité, et qui aident les enfants, à leur demande, à la réalisation de leurs projets. Un terrain de jeux et d'expérimentations soutenu par des éducateurs et des pédagogues.


Dernier terrain d'aventure à Paris, Les Petits Pierrots

On ne peut pas les laisser faire n'importe quoi…
La place des adultes est délicate. Le moins interventionniste possible, mais quand même…S'ils entrent donner un coup de main sur le terrain, ils risquent de se prendre au jeu et de construire leur belle cabane. S'ils interviennent dans un conflit, ils en empêchent la résolution par le groupe d'enfants. Mais s'ils laissent faire ? Intervenir ou pas, une question passionnante qu'on ne devrait jamais cesser de se poser.
Généralement, en Angleterre, le mode d’éducation des enfants repose sur l’expérimentation, alors qu’en France on préfère prévenir, interdire, pour éviter à l’enfant de se blesser, au détriment de l’autonomie  et de l’apprentissage par essais et erreurs. Ce n’est pas facile de laisser les enfants grimper aux arbres, planter des clous, tailler une branche de bois, faire du feu… Pas facile de ne pas intervenir, ne pas montrer de l'inquiétude… 
Au nom de la sécurité, parents et organismes officiels bornent la liberté, norment les jeux, multiplient les interdits, mettent fin aux initiatives. Pourtant on sait bien, tous, qu'on n'apprend pas à marcher sans tomber.

Dans les années 70, la peur du (Terrain) vague
Les premiers terrains d'aventure, d'abord créés au Danemark, ont vu le jour avant la dernière guerre. C'est après 68 que l'idée a pris vraiment forme, les lieux se développant en Europe.


En introduction de la revue Autrement Dans la ville, des enfants (oct 1977), un dossier complet autour des terrains d'aventure, Henri Dougier écrit : "Où sont-ils les enfants ? 
La rue est adulte, les espaces balisés, les interdits et la peur promulguée. Aller au delà de la pédagogie, de ses codes, et de ses gadgets est difficile même dans ces ateliers et ces "écoles parallèles", qui se heurtent aux mêmes obstacles : la peur du risque, le conformisme, les règlements. Le vide, le flou, le spontané, ça rappelle 68, ça fait peur, ça dérange. 
Et pourtant c’est ce qu' "ils" demandent : des lieux qui soient leur création, leur propriété, leur terrain de refuge et d’activité - cabanes, terrains vagues, vieilles maison. des lieux non voulus, non programmés par les autres !”


Terrains d’aventures version 2016
De retour de voyage,James Blanc, ludothécaire en quête de ludothèques en Angleterre, avait organisé une soirée pour raconter ce qu'il y avait trouvé : des espaces en plein air ouverts aux enfants, pour construire des cabanes, inventer des jeux, avec du matériel de récupération, sous l’œil bienveillant des animateurs, dont la  fonction "visible" était de fournir planches et outils… 
Les jeunes animateurs et ludothécaires présents lors de cette conférence découvraient les Terrains d’Aventure en rêvant. 

Alors qu'ils sont nombreux en Allemagne, en Suisse ou en Angleterre, dans les villes de France, les terrains d’aventure ont pratiquement disparu.


Terrain d'Aventure de Lausanne
"Terrain d’aventure", sur Internet, c'est d'abord un lieu de type Accrobranches, bien amusant, bien sympathique, mais sacrément balisé. Ou alors un parcours d’escalade peu réglementé. Ou, comme à Montreuil, un espace vert géré par une association d’habitants.
Mais rares sont les "vrais" Terrains d'aventure français, lieux d'expérimentations et de jeux libres, où poussent des herbes folles, où chaque enfant crée son activité, seul ou avec ses pairs, et avec l'aide d'un adulte s'il l'a sollicitée. 

 À Paris, il n'en reste qu'un, au Père Lachaise, animé par l'association Les Petits Pierrots, et il est menacé de fermeture dans le cadre du réaménagement du quartier. C'est triste.

Un nouvel espace dénommé Terrain d'aventure vient de s'ouvrir aux Halles. Lieu réservant une place à la nature et l'improvisation ludique, mais imaginé par des architectes. (à suivre)


photos Les petits Pierrots
Dans la tradition en revanche, le projet des CEMEA Pays de la Loire : "Un village de jeux et de cabanes en construction permanente, qui va évoluer avec le temps, en fonction des besoins, des désirs, des nécessités aussi… Des animateurs vont faire vivre le projet en "l’alimentant" : approvisionnement en palettes, perches, cordes… Ils assurent une sécurité bienveillante à des constructions parfois hasardeuses, expressions à la fois d’une activité motrice joyeuse et d’une réflexion technique toujours en éveil.” 





Entre la rue aux dangers réels et multiples et les lieux d’activité par trop encadrés, il manque aux enfants des lieux de liberté. 
Les ludothèques, nées dans les années 1970, sont un des derniers bastions du jeu libre. Mais ce sont des lieux pensés et aménagés par des adultes, ils ne peuvent évoluer, se transformer, se bâtir, avec la même spontanéité qu’un Terrain d’aventure, terrain vague, où rien n’est défini à l’avance.