mercredi 22 juin 2011

LOI, JOUETS ET PHTALATES : fausse victoire et vraies questions

Les phtalates sont des additifs utilisés couramment dans les matières plastiques et d’autres matériaux, principalement pour les rendre souples et flexibles, ou résistants aux chocs et aux variations climatiques. Ils ont des applications industrielles et médicales et entrent dans la composition de très nombreux produits de consommation.
C’est en raison de leur utilisation généralisée et de leur présence dans l’environnement que les phtalates suscitent de l’inquiétude.

D’abord montrés du doigt en raison de risques cancérigènes, qui semblent actuellement être plus ou moins écartés, ils sont surtout accusés de provoquer des perturbations de l'appareil reproducteur masculin. «Certains phtalates possèdent un effet perturbateur endocrinien. De plus, il a été enregistré des effets sur le foie, les reins et le système reproducteur mâle.» (Wikipedia
Les phtalates pénètrent facilement dans le corps humain par le contact avec la peau et notamment les muqueuses. D’où les dangers d’utilisation de cosmétiques, et de jouets que l’enfant suce. Mais aussi des jouets sexuels pour adultes, qui ne sont pas considérés comme jouets et donc pas soumis aux normes.

Le 3 mai dernier une loi interdisant toute utilisation de phtalates (et 2 autres substances) a été votée par l’Assemblée Nationale. Une victoire !
Sauf qu’elle est maintenant renvoyée au Sénat, qui n’est pas obligé de donner suite… C’est au Président du Sénat de la mettre en lecture, mais comme elle est difficilement applicable, et que l'actuel gouvernement n'en veut pas, elle risque d’être enterrée…


Quelques temps après l’adoption de la loi, le Laboratoire National d’Essais nous adresse une « Offre promotionnelle Phtalates sur les jouets et les articles de puériculture ». On imagine donc qu’il y a un lien, et qu’il va falloir reprendre les analyses de nos produits.


En effet, le LNE  réagit habituellement, et c’est très bien, à l’actualité, apportant à la fois aux fabricants une information et une aide à l’application des nouvelles directives. Le 23 décembre dernier, par exemple, à propos des tapis en mousse : « Le LNE vous accompagne face au nouvel arrêté du 14 décembre 2010 portant suspension de la mise sur le marché et retrait des jouets en mousse dits « tapis puzzle » contenant du formamide.»

Donc, les Phtalates, il y a du nouveau, pensais-je… Et d’interroger le LNE, dont un expert, et je l’en remercie, a pris le temps de me répondre. C'est toujours la loi de 2005 qui est en vigueur concernant les jouets, même si le titre du document a changé (REACH annexe XVII entrées 51 et 52)Prochaine étape 2015. Sauf nouvelles découvertes déclenchant de nouvelles précautions.
Car pour ce qui est de la loi récemment votée, ce n'est qu'une proposition, et, dit l'expert du LNE, "la commission des Affaires sociales ayant rejeté l'article unique, cela vaut rejet de la proposition de loi. La discussion en séance portera sur le texte (n° 2738) dont l'Assemblée nationale a été initialement saisie. Donc à ce jour la directive jouets lue conjointement avec REACH suffit sur ce dossier des phtalates. »

Les phtalates et les jouets

La première réglementation, au niveau européen, est intervenue en 1999. Elle interdit l’utilisation des phtalates dans les jouets et les articles de puériculture destinés à être mise en bouche par les enfants de moins de 3 ans, sur la base d'une directive de juin 1992, relative à la sécurité générale des produits. Ensuite, cette décision, provisoire, a été prorogée vingt fois, avant l’insertion de ces dispositions dans la directive 2005/84/CE du 14 décembre 2005. C'est long à se mettre en place, tout ça. Bientôt les premiers bébés concernés seront devenus députés !

Les phtalates DEHP, DBP, BBP ne peuvent pas être utilisés comme substances ou composants de préparations, à des concentrations supérieures à 0,1 % en masse de matière plastifiée, dans les jouets en général. Pas tous les phtalates !
Car les phtalates DINP, DIDP, DNOP  ne sont réglementés que pour les articles de puériculture  et les jouets qui peuvent être mis en bouche par les enfants. Pas tous les jouets, donc !!!

« Qui peuvent être mis en bouche » ou « destinés à être mis en bouche », ce n’est pas la même chose. La fréquence à laquelle l’enfant porte un objet à sa bouche entre en compte, dans le danger « phtalates ». En principe on suçote plus spontanément une tétine qu’un bras de poupée ou un cou de girafe, mais à chacun son objet transitionnel et son oralité… Le texte de loi précise  ce qu’il faut entendre par article de puériculture: « tout produit destiné à faciliter le sommeil, la relaxation, l’hygiène ainsi que l’alimentation et la succion des enfants."
Si on conçoit assez facilement que sont visés, biberons, tétines et anneaux de dentition, la question se pose à propos de l’objet qui aide l’enfant à s’endormir. Chacun sait que le doudou que l’enfant adopte (peut-être) n’est probablement pas celui que les parents lui auront choisi. Pauvre (et cher) doudou mâchonné, sucé, têté, mais aussi ébouriffé, bourichonnné, froissé, déchiré, traîné partout, T-shirt fané, couverture élimée, étiquette textile, tel n’était pas son destin !
Et quels sont donc ces jouets « destinés à être mis en bouche » ?

Certains objets sont pourtant désignés par les fabricants comme des jouets destinés à éveiller les sens du bébé. Cela se résume la plupart du temps au toucher (avec l’utilisation de différentes matières douces ou rugueuses), à la vue (avec des couleurs éclatantes – pour ne pas dire criardes) et à l’ouïe (bruits électroniques divers, mais aussi sons plus subtiles comme celui de papier froissé.) Au petit enfant avec qui l’on « joue », on dit facilement « oh, regarde ! », ou « écoute !», et, moins souvent, « touche ! ».  Lui dit-on « goûte ! » ou « sent !» ? Mais quel que soit l’objet qui passe à sa portée, il sera attrapé, probablement secoué, (au cas  où ça ferait un son), mais surtout goûté.

Si cela reste exceptionnel, rien de grave, mais si vraiment tout notre environnement est «envahi » par les phtalates, vite, que les législateurs se remettent au travail !
Depuis 50 ans, nous utilisons les phtalates, qui sont produits, de nos jours, à raison de 3 millions de tonnes par an, dans de très nombreux produits de consommation. Les phtalates sont présents partout, des rideaux de douche aux  pare-chocs des voitures, des gants stériles aux répulsifs contre les insectes, des crèmes de beauté aux emballages alimentaires et même à l’eau courante. Aux jouets en plastique souple, pour les plus de trois ans, aussi, donc. Mais pourquoi s’en alarmer plus que du reste ?.