jeudi 24 novembre 2011

Que faire des jouets quand les enfants ont grandi ?



Tout le monde un jour se pose cette question, plus encore à l’approche de Noël, vider la salle de jeu pour la remplir à nouveau
Toys story 3 Une nouvelle vie pour les jouets d'Andy ?

Les vases communicants. On enlève des jouets, on en met d’autres, c’est toujours du jeu… Mais c’est une opération délicate. Sont-ils interchangeables, ces objets ?

Consommer, consommer, jusqu’à l’indigestion… et partager cette frénésie avec ceux qui n’en ont pas les moyens, cela part de bons sentiments, mais c’est ambigu, et même peu respectueux.

Un jouet en vaut-il un autre ?

Bon, alors, on va jeter ceux qui ne sont plus en bon état, se débarrasser de tous ceux avec lesquels il ne joue pas, supprimer ceux qui « ne sont plus de son âge ». Si on en avait le temps, on ferait ce tri avec les enfants, on essaierait d’en faire un jeu. En s'inspirant  de ces jeux télévisés où il faut toujours choisir entre plusieurs candidats et en éliminer : « et le nominé est… ». Ce serait l’occasion de parler des jouets avec les enfants, et un enfant en particulier, quels jouets aime-t-il, et pourquoi ?

En bons éducateurs, nous pourrions peut-être nous interroger sur cette attitude que nous induisons. Je consomme, et puis je jette. Mais plus encore, car il y a forcément de l’affectif dans un jouet, je t’aime, je ne t’aime plus, je te remplace.
Avec leurs doudous, les enfants ne se laissent pas faire, et nous donnent des leçons de fidélité. Je t’aime même usé, dégradé, sali, c’est toi que je veux et pas un autre. Ah ! Etre aimé comme un doudou ! Mais heu… vient le jour où l’enfant n’a plus besoin de  doudou… Pas même pour le garder « en souvenir ». Apprendre à tourner la page.

Un enfant en vaut-il un autre ?

N’empêche, Doudou, il est tellement vieux, personne d’autre n’en voudra. Il ne deviendra jamais le doudou d’un autre. Respect. En revanche, il est question de se séparer des autres jouets, et plutôt que de les apporter à la décharge, de les donner à d’autres petits. Parfois un moment délicieux : un enfant un peu grand qui offre son jouet à un plus petit, relais tendresse. Mais la plupart du temps le passage se fait dans l’anonymat, via un organisme caritatif, et quelque chose me chagrine un peu dans cette démarche.
C’est peut-être une déformation professionnelle : je voudrais que les jouets soient pris en main par des pros qui non seulement les remettent en état, mais surtout les connaissent, les conseillent, ne se contentent pas de les mettre sur des étagères. Pensent aux enfants qui vont les adopter.
Oui, les adopter ; je pense aux jouets et je n’aime pas qu’ils soient abandonnés au hasard, négligés.

Le film Toys story 3 montre la détresse des jouets mis en carton et récupérés dans une nursery, où ils passent de mains en mains et sont malmenés, c’est drôle et et c’est aussi très émouvant.

Vive les greniers !
Pas de ça pour les jouets, mais alors ? S’il faut bien accepter un  jour de ne plus être un enfant, il faut bien aussi se résoudre à s’en séparer. Quitte à les donner à un organisme, les donner à une ludothèque. Là ils seront dorlotés, réparés s’il le faut, chaque pièce répertoriée, et mis en jeu avec soin et respect.

A moins qu’il n’y ait encore quelque part un grenier où les ranger en attendant
Attendre que les enfants malheureusement grandis aient à leur tour des enfants. Qu’avec eux ils ouvrent le carton avec l’émotion des souvenirs d’enfance partagés.
Ou qu’ils envoient leur progéniture dans le grenier jouer les explorateurs à la recherche d’un trésor.
Jouets des années 50 au Nautilude
Ou qu’ils en fassent profiter d’autres enfants, d’autres adultes, le temps d’une exposition. 
Ainsi Laure et Dominique, à l’occasion de l’ouverture de la ludothèque Le Nautilude, rue Jules Verne à Paris, ont-elles ressorti leurs ours en peluche, leurs poupées – et les accessoires, les ustensiles de cuisine qui vont avec - du grenier de la vieille maison picarde. Une exposition modeste, bien sûr, mais à visiter avec elles : on saura le nom de chaque ours, et que Mich’ a été donné par la plus grande à sa petite sœur, tandis que Michette venait le remplacer.  Un jour la petite fille se marie. Trente ans plus tard Michette se retrouve dans une vitrine au côté de Martin, qui dormait, lui, dans le grenier de la grand-mère du mari de la petite fille… Objets retrouvés, instants d’enfance réapparus, échangés, histoires de jouets.


http://www.je-donne-mes-jouets.org/

http://www.engagement-solidaire.fr/gestes-solidaires/donner/jeux-jouets

jeudi 10 novembre 2011

Les nouveaux jeux éducatifs : les jeux sérieux, ou serious games.



Cette semaine, La Toile de l'éducation  (Le Monde de l’éducation) titrait : Le jeu à usage pédagogique avance ses pions. « Utiliser les jeux en classe ? Le débat est récurrent, mais il progresse. Le 4 novembre, le ministère de l'économie organisait un colloque pour dresser un premier bilan de l'appel à projets "jeux sérieux" (les Serious Game) ».

En fait, point de pions à avancer. Bien que le jeu d’échecs soit, me semble-t-il un jeu que l’on peut qualifier de «sérieux», il est hors catégorie.
On entend par Serious game « une application informatique dont l'objectif est de combiner des aspects d'enseignement, d'apprentissage, d'entraînement, de communication ou d'information, avec des ressorts ludiques et/ou des technologies issus du jeu vidéo. »
De plus en plus, lorsqu’on parle de jeux, dans la presse, on ne parle que de jeux vidéo, numériques, virtuels, électroniques. J’en veux pour preuve les mises en garde qui accompagnent légalement certaines pubs à la télévision pour des jeux en ligne : « Jouer est dangereux » (sic).

Ces jeux nouveaux, auxquels on joue sur console, sur son téléphone ou sur Ipad, comment les appeler ? On hésite encore, pour ce qui est des jeux de divertissement. On ne peut appeler « jeu video », par exemple,  un jeu classique comme le backgammon ou le scrabble numérisé. Mais le concept de «serious games» est né, lui,  qui désigne tous les jeux conçus pour faire passer une information, Advergames (Jeux pour faire de la pub), Edugames (Jeux pour favoriser les apprentissages) ou Political games (Jeux pour éfendre des valeurs politiques).

Récemment, mes fils ont retrouvé avec jubilation sur Ipad le jeu de leur enfance Pirates des Caraïbes. Vingt ans après, ils se souviennent du nom de chaque crique, chaque île ! Mais le but des créateurs de ce jeu n’était pas d’enseigner la géographie des Caraïbes, alors ce n’est pas un « jeu sérieux ». (Je confirme, ils ont beau être adultes, ils ne font pas très sérieux quand ils balayent leur Ipad avec frénésie !) (Mais, deuxième parenthèse, quel bonheur de les voir jouer avec autant de plaisir, tout adultes qu'ils sont, sans se prendre au sérieux !).
Je n’adhère pas à cette séparation entre les jeux « sérieux » et les jeux « divertissants ». Je peux me divertir avec un jeu dont l’auteur a l’ambition de m’instruire (sinon, je me lasse vite, et surtout il me semble que ce n’est plus un jeu). Je peux apprendre, m’éduquer, avec un jeu « pour s’amuser ».


Zoran Popovic, interviewé par Le Café pédagogique (7/11/2011), est directeur du Center for Game Science de l'université de Washington. On notera au passage qu’on appelle Science du Jeu à Washington ou au département de l’Université Paris XIII, deux approches du jeu bien différentes.
 " Les étudiants ont cette culture des jeux (…). En jouant ils franchissent des étapes importantes. Quand ils jouent, leurs erreurs ne les arrêtent pas. Ils en tirent les leçons et vont de l'avant. » affirme Zoran Popovic. Ne pourrait-on en dire autant de la plupart des jeux ?

Autrefois, on parlait de jeu instructif : depuis toujours utilisé pour rendre les apprentissages plus faciles, moins ardus, le jeu permettait d’initier les enfants à la lecture, au calcul, à la morale ou à la géographie.

Vers 1914, Nathan crée le concept de jeu éducatif.
Jeu en bois ou en carton comme le loto des animaux, le domino des chiffres et des couleurs, le puzzle des départements français. J’ai joué il y a quelques semaines, avec mes sœurs et beaux-frères (retraités), au Jeu de 7 familles des peintres, celui que nous avions quand nous étions petits, et nous nous sommes bien amusés, mais je n’ai pas beaucoup amélioré ma connaissance de Delatour ou de Caravage.


Se démarquant de ces jeux jugés désuets, l’informatique a fait évoluer le concept de « jeu éducatif » vers celui de « ludo-éducatif » que je définirais ainsi : un jeu vidéo (cette chose diabolique) qui cette fois peut être préconisé par les parents car il a pour but non de distraire les enfants mais de leur enseigner les apprentissages fondamentaux mine de rien, en les amusant. Combien de parents ne sont-ils pas venus me demander des DVD ludoéducatifs quand, à l’ouverture des Fnac Junior, je faisais fonction de conseiller en jeu dans le premier magasin rue Raspail.

Et maintenant, donc, on parle de « jeux sérieux ». 

Peu importe à quoi on joue, comment on joue, si librement on joue. Pourvu qu'on apprenne.

Au moment même où le concept de « jeu éducatif » était adopté par tous et remplaçait celui de « jeu instructif », on substituait au Ministère de l’instruction publique le Ministère de l’éducation nationale. (1932, gouvernement d'Édouard Herriot) *


Ce n’est pas un hasard, pour Jean-Marie Lhote, historien du jeu, (à qui, par chance, Libération rend hommage aujourd'hui), si ce passage se fait en période de crise économique.

Et voilà, en pleine crise, 80 ans plus tard, l’arrivée d’un concept nouveau, « le jeu sérieux ». Le Ministère de l éducation nationale sera-t-il bientôt rebaptisé Ministère du Sérieux National ?




*Voir Le Ministère de l’éducation nationale de 1789 à nos jours. http://www.education.gouv.fr/pid289/le-ministere-de-l-education-nationale-de-1789-a-nos-jours.html