Cette semaine, La Toile de l'éducation (Le Monde de l’éducation) titrait : Le jeu à usage pédagogique avance ses pions. « Utiliser les jeux en classe ? Le débat
est récurrent, mais il progresse. Le 4 novembre, le ministère de l'économie
organisait un colloque pour dresser un premier bilan de
l'appel à projets "jeux sérieux" (les Serious Game) ».
En fait, point de pions à avancer. Bien
que le jeu d’échecs soit, me semble-t-il un jeu que l’on peut qualifier de
«sérieux», il est hors catégorie.
On entend par Serious game
« une application informatique
dont l'objectif est de combiner des aspects d'enseignement, d'apprentissage, d'entraînement,
de communication ou d'information, avec des ressorts ludiques et/ou des
technologies issus du jeu vidéo. »
De plus en plus, lorsqu’on parle de
jeux, dans la presse, on ne parle que de jeux vidéo, numériques, virtuels,
électroniques. J’en veux pour preuve les mises en garde qui accompagnent
légalement certaines pubs à la télévision pour des jeux en ligne : « Jouer est dangereux » (sic).
Ces jeux nouveaux, auxquels on joue sur
console, sur son téléphone ou sur Ipad, comment les appeler ? On hésite
encore, pour ce qui est des jeux de divertissement. On ne peut appeler
« jeu video », par exemple,
un jeu classique comme le backgammon ou le scrabble numérisé. Mais le
concept de «serious games» est né, lui, qui désigne tous les jeux conçus pour faire passer une information, Advergames (Jeux pour faire de la pub), Edugames (Jeux pour favoriser les apprentissages) ou Political games (Jeux pour éfendre des
valeurs politiques).
Récemment, mes fils ont retrouvé avec
jubilation sur Ipad le jeu de leur enfance
Pirates des Caraïbes. Vingt ans après, ils se souviennent du nom de chaque
crique, chaque île ! Mais le but des créateurs de ce jeu n’était pas
d’enseigner la géographie des Caraïbes, alors ce n’est pas un « jeu
sérieux ». (Je confirme, ils ont beau être adultes, ils ne font pas très
sérieux quand ils balayent leur Ipad avec frénésie !) (Mais, deuxième parenthèse, quel bonheur de les voir jouer avec autant de plaisir, tout adultes qu'ils sont, sans se prendre au sérieux !).
Je n’adhère pas à cette
séparation entre les jeux « sérieux » et les jeux
« divertissants ». Je peux me divertir avec un jeu dont l’auteur a
l’ambition de m’instruire (sinon, je me lasse vite, et surtout il me semble que
ce n’est plus un jeu). Je peux apprendre, m’éduquer, avec un jeu « pour
s’amuser ».
Zoran Popovic, interviewé par Le Café pédagogique
(7/11/2011), est directeur du Center for Game Science de l'université de
Washington. On notera au passage qu’on appelle Science du Jeu à Washington ou
au département de l’Université Paris XIII, deux approches du jeu bien
différentes.
" Les étudiants ont cette culture des jeux (…). En jouant ils franchissent des étapes importantes. Quand ils
jouent, leurs erreurs ne les arrêtent pas. Ils en tirent les leçons et vont de
l'avant. » affirme Zoran Popovic. Ne pourrait-on en dire
autant de la plupart des jeux ?
Autrefois,
on parlait de jeu instructif :
depuis toujours utilisé pour rendre les apprentissages plus faciles, moins
ardus, le jeu permettait d’initier les enfants à la lecture, au calcul, à la
morale ou à la géographie.
Vers
1914, Nathan crée le concept de jeu
éducatif.
Jeu
en bois ou en carton comme le loto des animaux, le domino des chiffres et des
couleurs, le puzzle des départements français. J’ai joué il y a quelques
semaines, avec mes sœurs et beaux-frères (retraités), au Jeu de 7 familles des peintres, celui que nous avions quand nous
étions petits, et nous nous sommes bien amusés, mais je n’ai pas beaucoup
amélioré ma connaissance de Delatour ou de Caravage.
Se
démarquant de ces jeux jugés désuets, l’informatique a fait évoluer le concept
de « jeu éducatif » vers celui de « ludo-éducatif » que je définirais ainsi : un jeu vidéo
(cette chose diabolique) qui cette fois peut être préconisé par les parents car
il a pour but non de distraire les enfants mais de leur enseigner les
apprentissages fondamentaux mine de rien, en les amusant. Combien de parents
ne sont-ils pas venus me demander des DVD ludoéducatifs quand, à l’ouverture
des Fnac Junior, je faisais fonction de conseiller en jeu dans le premier
magasin rue Raspail.
Et
maintenant, donc, on parle de « jeux
sérieux ».
Peu
importe à quoi on joue, comment on joue, si librement on joue. Pourvu qu'on apprenne.
Au
moment même où le concept de « jeu éducatif » était adopté par tous et
remplaçait celui de « jeu instructif », on substituait au Ministère de
l’instruction publique le Ministère de l’éducation nationale. (1932,
gouvernement d'Édouard Herriot) *
Ce
n’est pas un hasard, pour Jean-Marie Lhote, historien du jeu, (à qui, par chance, Libération rend hommage aujourd'hui), si ce passage se
fait en période de crise économique.
Et
voilà, en pleine crise, 80 ans plus tard, l’arrivée d’un concept
nouveau, « le jeu sérieux ». Le Ministère de l éducation
nationale sera-t-il bientôt rebaptisé Ministère du Sérieux National ?
qui ont reçu un soutien financier dans le cadre du plan de relance du secrétariat d’État à la Prospective et au développement de l’économie numérique (SEDEN)
*Voir Le Ministère de l’éducation nationale de 1789 à nos jours. http://www.education.gouv.fr/pid289/le-ministere-de-l-education-nationale-de-1789-a-nos-jours.html
Article intéressant.
RépondreSupprimerJuste une remarque : on parle de "jeux sérieux" (serious game) depuis un moment : ce n'est pas directement lié à la crise.
Bonjour Catherine,
RépondreSupprimerA t-on la possibilité de vous contacter par mail?
Merci beaucoup!
Valérie
Bonjour Valérie. Mon adresse mail est : ch@aetre.com. A bientôt.
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