samedi 27 juillet 2013

Jouer "au théâtre".

Nous avons joué le Carnaval, nous avons joué au Carnaval, nous avons joué avec le Carnaval 

 Lors d’une fête estivale, nous avons joué les récitants pour le Carnaval des animaux de Saint-Saëns. Deux pianistes jouaient à quatre mains une adaptation de la musique pour piano. Une interprétation brillante par ces dames qui se jouaient des difficultés. Une musique enjouée que Saint-Saëns semble avoir écrite pour s’amuser, lui le compositeur d’œuvres sérieuses. Chaque pièce présente un animal, en l’écoutant on peut jouer aux devinettes, reconnaître tel ou tel cri, car les instruments jouent le lion qui rugit ou les poules qui caquettent, ou bien un air connu, une chanson enfantine. Au milieu de ce concert animalier, Saint-Saëns se joue du pianiste en lui faisant interpréter des gammes montantes et descendantes "dans le style hésitant d'un débutant" (mention portée par Saint-Saëns sur la partition). Quant au pianiste, il jouera donc la maladresse.


 Pour accompagner cette pièce musicale, Francis Blanche a écrit dans les années 50 le texte du récitant. Bien évidemment, il joue avec les mots, et se joue des animaux qu’il met en scène, pianiste compris.
« Quel drôle d'animal ! On dirait un artiste ! (…)
Il a des yeux de lynx et une queue de pie
Il se nourrit de gammes
Et, ce qui est bien pis
Dans les vieux salons il se reproduit
Mieux que les souris. »

Un hémione, c'est un cheval,
Des hémiones, ce sont des chevaux. 
L'hémione est un bel animal,
Les hémiones sont de fiers animaux.
Il trotte comme un vrai cheval, 
Ils galopent comme de vrais chevaux. 
Il tombe sans se faire de mal, 
Se relève sans dire de gros mots. 
Et si l'hémione est un cheval, 
Si les hémiones sont des chevaux, 
Il a comme tout animal, 
Ils ont comme tous les animaux, 
Leur place dans notre carnaval, 
Comme dans tous les carnavaux. 

 Ça se jouait entre amis, rien de professionnel, juste du plaisir à partager.

Pour accompagner le texte et la musique, nous avions envie d’une touche visuelle. Comme souvent, lorsque nous nous lançons dans un spectacle éphémère, nous avons joué à une sorte de course au trésor, cherchant dans notre atelier les accessoires qui pourraient nous inspirer. Un temps nous avons imaginé de n’utiliser que des jouets, peluche pour le lion, gants de boxe pour le kangourou, cheval bâton pour les hémiones… Des jouets pour souligner l’esprit ludique de Saint-Saëns. Et puis nous avons opté pour les masques, puisque c’était le Carnaval. Joueurs, nous nous sommes amusés d’un trait noir, sur fond blanc, à fabriquer un masque pour chaque animal, le lion, la tortue, la baleine, la poule…

 Masqué, le comédien dit clairement « je joue »
Le masque ajoute une distance, un ce n’est pas moi,  c’est pour de faux, au jeu de l’acteur. Masque de carton, de latex ou grimage de clown.


Des comédiens qui jouent aux clowns, des clowns qui font les enfants jouant. 
 Dans le cadre de Paris quartier d’été, François Cervantès présente Les clowns, une pièce de théâtre bâtie sur le jeu dans le jeu. Trois personnages sur scène. Ils sont grimés, curieusement habillés, ils bougent et parlent d’une manière singulière. On pourrait imaginer le même texte joué par des comédiens plus traditionnels, on pense à Ionesco ou plutôt à Beckett. Mais ces masques de clowns annoncent un autre jeu, ce n’est pas l’absurde qui prime mais l’enfantin. Une mariée, dont le voile est une longue bâche en plastique, une mouche immense, qui souffle dans un mirliton, comme dans un rêve, peut-être, ou plutôt comme dans un jeu d’enfant. Je suis la mariée, je vais me marier avec toi, et puis non, tu vas te marier avec la mouche – le comédien, barbu, grimé, déguisé en mouche, et qui revêt en plus le voile de la mariée…


Des personnages qui jouent à jouer une pièce de théâtre
 Prenant soudain conscience de la présence des spectateurs, les personnages, entraînés par la femme qui mène le jeu depuis le début, décident de jouer à être des comédiens. S’emparant du texte qui leur tombe sous la main, Le roi Lear, ils l’interprètent avec les moyens du bord. Comme nous, partis à la recherche de tissus, de cartons et d’objets divers pour construire un nouveau décor, et pour ajouter à leur costume de clown celui du roi et de deux princesses. Deux princesses et pas trois, parce qu’ils ne sont pas assez nombreux pour jouer tous les personnages de la pièce. Faisant appel, de temps en temps, aux techniciens du théâtre, comme les enfants le font des adultes, pour qu’ils leur trouvent un accessoire dont ils ont besoin pour l’histoire, ils ne leur permettent pas pour autant d’entrer dans leur jeu. Parfois l’un d’eux décroche, perd le fil de l’histoire, parfois aussi, pris au jeu, les personnages qui jouent les sœurs s’emportent l’un contre l’autre, comme deux sœurs ennemies.
Les comédiens jouent des personnages qui jouent des personnages qui parfois oublient qu’ils jouent…

Shakespeare et le jeu dit « jouer à être »
 Toutes ces distances ludiques, ce théâtre qui donne à voir à des degrés différents, ces jeux dans le jeu, cette cruauté « pour de faux » mais un peu vraie quand même, comme dans un jeu d’enfants, c’est assez fidèle à Shakespeare finalement. J’ai envie de le relire.
Et de le jouer, ou d’y jouer ou de jouer avec.