lundi 26 juillet 2010

Jouer à être, le temps du jeu symbolique.

À quoi vous jouez ? On joue à être
C’est avec Cécile, Sandrine, Benjamin,  et tous les cousins qui les ont suivis dans leurs aventures, que  j’ai découvert ce concept. Non pas ce jeu, car j’étais moi-même, enfant, toujours prête à revêtir un costume, jouer une saynète, inventer une histoire, faire semblant de, interpréter des personnages. Avec mes compagnons de jeu, nous avions différents noms de jeux, selon qu’on jouait au voyage, à la guerre ou à l’école, au spectacle ou au magasin. Mais nous ne savions pas que nous jouions à être.

Ces jeux d’imitation, de rôle, de mise en scène, Piaget les désigne sous le nom de Jeux symboliques. Ce concept englobe à la fois les jeux de faire semblant, comme lorsque les enfants vous invitent dans leur « restaurant », et les jeux avec les petits univers, maisons de poupées, Playmobil ou ferme miniature.
Pour lui, ce sont  essentiellement les jeux des enfants de 18 mois à 6 ans, cette tranche d’âge étant très souple bien entendu. Peu à peu, les jeux symboliques laissent la place à ce que Piaget appelle les jeux de règles  ou jeux de société. Je dis peu à peu car c’est souvent les petits accessoires qui  donnent envie de jouer, plus peut-être que la règle énoncée ou l’envie de gagner. On aime le Verger à cause des petits paniers à remplir de fruits en bois, le Cluedo à cause des personnages qui vont du bureau à la salle à manger, et des armes minuscules, et Risk parce qu’on déplace de petites armées sur la carte du monde. En grandissant, les joueurs, s’ils prennent encore plaisir à manipuler des pièces ou à contempler des cartes joliment illustrées, apprécient surtout les jeux organisés autour d’une règle fixe, fixée d’avance.

Tandis que les règles, car il y a des règles, quand on joue à être, sont données au début de chaque jeu, énoncées en toutes lettres ou implicites, et peuvent être renouvelées, modifiées, à chaque jeu nouveau. Si par exemple on joue au Papa et à la Maman, le Papa ne peut pas cesser d’être un homme, ni la Maman une femme. Leurs rôles sont définis a priori, et souvent plus conventionnels qu’à la maison. On ne peut pas en changer sans briser le jeu. Mais il faudra à chaque jeu dire qui est le Papa et qui est la Maman.

Les jeux de faire semblant peuvent se passer du langage, un enfant qui ne sait pas encore parler peut jouer à faire semblant de manger, faire semblant de nourrir son ours, faire semblant d’avoir peur quand moi je fais semblant de lui dévorer le pied (s’il n’avait pas compris que « c’est pour jouer » il ne tendrait pas son pied à nouveau vers moi pour que je le « mange » encore !). 
Cependant plus l’enfant maîtrise le langage, plus riches sont ses jeux d’imagination. Les enfants manient tous, assez rapidement, la grammaire pour énoncer : « On serait des enfants abandonnés, on habiterait dans un château, tu serais un policier »… .Le conditionnel est le temps du jeu Symbolique. Ni passé ni futur, juste hors du temps et du réel.
A quoi s’ajoute la distance du dire : « On dirait qu’on serait dans un vaisseau spatial ».  On va faire comme si parce qu’on l’a dit. C’est une histoire qu’on raconte.
Jodie, qui a 3 ans mais déjà une grande culture, car elle est gourmande de littérature enfantine, commente ses jeux, ou les explique aux adultes en énonçant le titre de son jeu : « ça s’appelle : Le Père Noël va prendre son bain» ou « ça s’appelle : Babar cherche la bagarre » Il y a de quoi faire un florilège de tous ses titres de jeux, tant son imagination est débordante. Ce titre, comme le conditionnel, met une distance entre le joueur et son jeu. On sait bien que ce n’est pas vrai.
Parfois, le jeu comme les peintures qui montrent un dessin dans un autre dessin, en abîme, devient un jeu dans le jeu, dans le jeu… La grand-mère de Jodie l’observe berçant tendrement un petit coussin cylindrique, le câlinant, lui parlant gentiment.. - Qui est-ce ? 
-C'est un bébé déguisé en caillou. Allez viens, mon petit.. "
L’enfant, même très jeune, est capable de se regarder jouer et de jouer comme au second degré.
J’en ai plusieurs fois vu la preuve avec des enfants qui faisaient semblant de dormir. Dans le jeu, cela donnait : « ça serait la nuit et je serais en train de dormir… Ron Pschitt, ron pschitt »… L’enfant  ferme très fort les yeux et imite la respiration de la personne endormie. En revanche,  s’il veut faire croire qu’il dort quand les parents viennent vérifier que tout le monde est couché, ils sait très bien tromper son monde : ni ronflements ni grimaces, un petit enfant tout détendu et parfaitement innocent ! Ainsi, lorsque revenant d’une journée à la campagne mes enfants voyaient la voiture approcher de la maison, ils « s’endormaient  profondément», pas de chance pour les parents obligés de les porter ensommeillés jusqu’à leur lit…  Ce n’est que quelques années plus tard qu’ils m’ont avoué qu’ils faisaient semblant. Le jeu, coquin mais tendre, était de se faire porter sans que les parents ne s’aperçoivent de la supercherie, et « ça » ne se jouait pas du tout de la même façon !


Sur de nombreuses photos de moi petite fille, j’ai une poupée dans les bras.  Je ne suis pas en train de jouer à la poupée, la photo a plutôt été prise lors d’une promenade, d’un goûter dans le jardin,  d’une réunion de famille. On voit bien que je me séparais rarement de ma poupée du moment, mais comme une maman de son enfant. Avec ma poupée sous le bras, je pouvais aller au marché ou pousser des voitures. Une fois glissée dans mon personnage de maman, je pouvais jouer à autre chose, en même temps.
Lorsque j’entrais ainsi dans mon rôle de petite maman, je ne crois pas que j’aurais répondu « Je joue à la poupée » si quelqu’un m’avait demandé « À quoi tu joues ? ». J’aurais même sans doute trouvé la question vraiment bizarre. Alors qu’à d’autres moments, je décidais de jouer à la poupée, j’installais leurs lits,  leurs jouets, je les grondais ou les consolais, je faisais la maîtresse. À Noël je leur faisais un arbre de Noël, avec des cadeaux, et je jouais aux poupées qui jouaient avec leurs cadeaux, leurs poupées… Jeu en abîme une fois encore.

À la ludothèque, on voit souvent des enfants revêtir un costume, dès leur arrivée, et une fois habillés en princesse ou en pompier s’asseoir à table avec d’autres enfants pour partager un jeu de société. Ils ne sont pas vraiment « dans la peau de leur personnage » mais pas tout à fait eux-mêmes non plus, ils ont peut-être revêtu leur costume d’ enfant à la ludothèque, d’enfant qui est là pour jouer. Quand viendra l’heure de rentrer chez eux, ils changeront de tenue aussi naturellement et quitteront leur personnage en même temps qu’ils quitteront les lieux.

Dans L’être et le néant, Sartre donne l’exemple du garçon de café qui "joue à être garçon de café". «  Il en a revêtu le costume, il en prend les attitudes, le langage. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les ­consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule [...]. Toute sa conduite nous semble un jeu [...]. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café. » Sans doute joue-t-il ce rôle, mais est-il en train de jouer, dirait-il qu’il joue ? Commence-t-il sa journée au conditionnel (Je serais garçon de café ?)

De même les adolescents que nous montre Jacques Henriot, dans son film Le Jeu en miettes : « Ils jouent aux cartes. Et ils jouent à être des joueurs de cartes. ». On pourrait en dire autant de César et Panisse dans le Marius de Pagnol.  Mais diraient-ils : «C’est l’histoire d’une partie de carte », ou « ça s’appelle les joueurs de cartes » ?

Si Jouer à être n’est pas l’apanage des petits enfants, il est clair que  les « grands », en tout cas, ne savent pas qu’ils jouent. Ils jouent à être, mais ils ne le font pas exprès !

Les champions toutes catégories du jeu de faire semblant, par la liberté, l’imagination sans limite qu’ils mettent au jeu, et par la conscience qu’ils en ont, ce sont les jeunes enfants, qui, bien mieux que les adultes, semblent maîtriser les nuances entre le réel, l’imaginaire, le vrai, le faux et s’en jouer avec bonheur. 

mercredi 14 juillet 2010

Jeux d’argent, jeux en ligne, addiction et législation.


Enfin fini, ce Mondial du foot ! On n’aura malheureusement pas souvent entendu parler de jeu, ni eu le sentiments de voir souvent des joueurs sur le terrain. Jusqu’à la finale où l’agressivité et la tension étaient telles qu’un Candide aurait pu croire que le jeu consistait à gagner des cartons jaunes ou rouges.
Quoique… Si le jeu est par définition libre, et qu’il n’y ait jeu que s’il est librement consenti, l’équipe française faisant sa mauvaise tête et boudant l’entraînement s’est peut-être montrée plus joueuse qu’on ne l’aurait dit à première vue.
Nul ne peut ignorer que derrière ces circenses se jouent d’autres parties, aux enjeux économiques disproportionnés.
Devant son écran, le téléspectateur est interpelé par TF1 : on vous pose une question, vous répondez –c’est très facile- et vous pouvez gagner … « 100 millions, c’est bien ça qu’ils ont dit, 100 millions ? ». Le gros lot, et sans prendre beaucoup de risques, un simple SMS dont on oublie vite qu’il est taxé. Mais est-ce bien du jeu ? Quand la réponse est évidente, quand le tirage au sort ne se fait ni par une grande roue qui tourne devant tous, ni par une distribution de cartes, à quel moment l’émotion de l’incertitude va-t-elle saisir le joueur de plaisir ? Il y a plus d’excitation à se demander si on obtiendra quelque chose pour nos retraites, mais qui dirait, là, qu’il s’agit d’un jeu ?
Ne parlons pas des publicités, sur le terrain, sur le moindre panneau, les maillots, envahissantes et clairement hors-jeu.
Mais gravitent aussi autour de cet événement les publicités incessantes pour les jeux d’argent en ligne. Depuis  un an, avec une certaine frénésie à partir de janvier 2010, le gouvernement s’est appliqué à faire passer une loi autorisant ces jeux d’argent sur Internet L’enjeu était de légiférer avant le mois de juin et le début du mondial, afin d’autoriser les opérateurs à faire de la publicité pour leurs sites.
« Depuis plusieurs années, 3 millions de Français jouaient en ligne en toute illégalité, attirés par les 22000 sites de poker ou de paris sportifs accessibles en France... En mars 2009, le gouvernement a déposé un projet de loi afin de légaliser le jeu. En échange, les opérateurs, comme Unibet ou Betclick de Stéphane Courbit devront payer des taxes à l'Etat." (Public Sénat). 
Les yeux dans les jeux, un documentaire d'Elise Aicardi, produit par Public Sénat, raconte en 52 minutes la genèse de cette loi, des auditions du Sénat aux débats à l’Assemblée Nationale. 
On s’aperçoit de la complexité de la question : en France, les jeux d’argent sont interdits, en dehors des instances gouvernementales comme la Française des jeux et le PMU. Les nombreux opérateurs de sites de jeux n’étaient donc pas domiciliés en France, et leurs gains, de ce fait, ne rapportaient rien à l’Etat. Cependant ils se faisaient connaître et fonctionnaient en toute impunité. 
On pouvait soit laisser faire (dans l’illégalité), soit affirmer la loi et le monopole de FDJ et PMU avec plus de force (mais au risque de voir les capitaux s’enfuir ailleurs), soit rendre cette activité légale. Le gouvernement a choisi cette troisième solution, qui a déjà commencé à porter ses fruits : "En moins d'un mois, nous avons ramené dans la légalité plus que ce qui a été parié en un an sur le seul site officiellement autorisé dans l'ancien système", explique à Libération Jean-François Vilotte, président de l'Arjel, l'Autorité de régulation des jeux d'argent en ligne. Un million de comptes ont été ouverts. De jolis gains en vue pour l’Etat, mais aussi pour les 11 opérateurs autorisés (dont on dit qu’ils étaient tous au Fouquets à l’arrivée de Nicolas Sarkozy, mais bon…).
Comme on le voit dans le documentaire d’Elise Aicardi, de nombreuses questions, soulevées entre autres par le PS, mais aussi par certains membres de l’UMP, ont été éludées faute de temps, puisqu’il y avait une date butoir, liée au début du Mondial en juin 2010 .
Pas le temps, donc, de se demander comment protéger les jeunes (iraient-ils vraiment envoyer copie de leur carte d’identité à l’opérateur ?).
Pas le temps de s’interroger sur l’addiction aux jeux d’argent en général, aggravée par un accès libre aux sites de jeux, et parfois couplée avec une addiction à Internet. Au lieu de lutter contre cette forme d’addiction, le gouvernement n’encourage-t-il pas au contraire la consommation effrénée de ces jeux, qui lui rapportent gros ? Si la publicité pour l’alcool est, sinon interdite, du moins très cadrée, la publicité pour les jeux en ligne est en plein essor.
Pourtant la problématique du jeu a été intégrée dans le Plan de prise en charge et de prévention des addictions (2007-2011) du ministère de la Santé afin de favoriser le dépistage et la prise en charge des joueurs en difficulté au sein des programmes de soins des centres d'addictologie.  L’addiction aux jeux d'argent en ligne existe-t-elle vraiment ? C’est la question que Caroline pose sur KUZEO.« A l’heure actuelle, deux antithèses s’affrontent. D’un côté les psychiatres qui la classent au même rang que les addictions aux drogues. De l’autre, les neuroscientifiques qui ne reconnaissent pas de processus biologique similaires entre ces deux addictions. » 


Quant à la dépendance aux jeux en ligne, elle a fait l'objet de plusieurs reportages, à l'occasion de témoignages sur la brutalité des traitements de "désintoxication" en Chine. Beaucoup moins importante en Europe qu'en Asie, elle suscite cependant des inquiétudes et tandis que les uns parlent de prévention, les autres poussent à la roue (ou à la roulette).
Quel est donc le moteur qui fait jouer, jouer et encore jouer le joueur pathologique ? Si c’est gagner de l’argent, toujours et encore plus, tous ces grands opérateurs et autres dirigeants sont à traiter d’urgence !
Si c’est jouer pour jouer, il me semble qu’ils devraient trouver dans notre très riche patrimoine de jeux de plateau (jeux de société) ou d’adresse de nombreux mécanismes beaucoup plus intéressants, faisant appel aux compétences, aux complicités, à la convivialité, à l’empathie…
On dirait que le plaisir des jeux d’argent est plutôt dans le risque, grandissant, qu’il convient de prendre. Enjeu – danger, là est le plaisir.  Tu peux tout perdre, te retrouver ruiné aussi bien que milliardaire, ça c’est excitant, plus c’est risqué, mieux c’est. Roger Caillois classe ces jeux dans une catégorie qu’il appelle Ilynx, les jeux de vertige. Vus de loin, à froid, ils font peur. Et la légèreté avec laquelle on facilite l’accès à des jeunes et des adolescents – prêts justement à mettre leur vie en jeu pour voir ou pour être remarqués – devrait, aurait dû, poser question.
Le leurre aussi. Jeux de hasard, ils sont supposés donner à tous la même chance, et permettre à chacun de gagner de l’argent sans peine, sans sortir de la maison, et sans s’apercevoir que l’argent file, car cela a l’air si virtuel. Egalité des joueurs, mais peut-être bien que celui qui peut miser gros, et ne craint pas trop de perdre, a plus de chances de gagner. A mise égale, il prend moins de risques. Quoi qu’il en soit, c’est l’opérateur le vrai gagnant. Comme la FDJ ou le casino.
Casino en ligne, casino en vrai, rien à voir.
Dans le plaisir du Casino, pour la plupart des joueurs, qui sont bien décidés à ne pas miser plus que de raison,  il n’y a pas seulement le plaisir du risque. Il y a la sensation puérile et fort agréable de « faire une bêtise », de jouer avec le feu, d’enfreindre un tabou peut-être. Et puis le goût du spectacle et du jeu de rôle. On ne va pas au casino en tongs, on se fait beau, on s’habille, on se la joue « classe ». Le personnel un peu obséquieux, les décors, les tables de jeux ou les machines à sous, tout est là comme au cinéma. On joue à être élégant et riche; et grand seigneur, quand, après les rituels (Les jeux sont faits, rien ne va plus, Impair, passe et manque), ayant gagné à la roulette (ou au Black Jack, je ne sais pas très bien), on envoie quelques jetons au croupier en lançant un « Personnel, merci ! » de pacotille.
Les sites ont beau mettre en avant les décors, la musique et le respect de la tradition dans leurs jeux en ligne, je doute que l’internaute puisse trouver face à son écran ce plaisir-là, de jouer au casino (On dirait qu’on serait millionnaire) allié au petit bonheur d’une sortie « en bande ».