jeudi 31 décembre 2015

Des voeux qui grincent un peu

Il était une fois un pauvre bûcheron et sa femme. L’homme un jour attrape un lapin et s’apprête à le manger, mais le lapin l’émeut, lui parle de sa nombreuse famille et réussit à l’apitoyer. Dès que l’homme attendri le laisse partir,  le lapin, qui est en fait un génie des bois, lui propose de faire 3 voeux. ”Je voudrais, je voudrais… un bon plat de saucisses”, dit l’homme, et c’est ce qu’il trouve sur la table en rentrant chez lui. Il raconte l’aventure à sa femme, qui le traite de tous les noms, pour avoir prononcé un voeu aussi modeste et ridicule, alors qu’il aurait pu demander à être riche et puissant. ”Tu es trop méchante, rétorque-t-il, tiens je voudrais que ces saucisses te pendent au bout du nez !” Aussitôt la femme se retrouve avec un chapelet de saucisses au bout du nez. ”Oh, pardon ! Je suis désolé, dit son mari, je voudrais que ces maudites saucisse n’aient jamais existé !” Le troisième voeu se réalise et les saucisses disparaissent. Le malheureux bûcheron et sa femme se retrouvent pauvres comme avant. 

Il était une autre fois un pêcheur. Il trouve un jour une bouteille dans son filet, il enlève le bouchon et un énorme génie en sort, terrifiant. ”Il y a des milliers et des milliers d’années que je suis enfermé dans cette bouteille”, dit-il. ”D’abord je pensais que quelqu’un allait me libérer et que je réaliserai ses rêves, mais j’ai attendu 1000 ans sans que personne n’ouvre cette bouteille, alors j’ai commencé à être très en colère et je me suis dit que je sortirai et m’enfuirai, et j’ai encore attendu 1000 ans sans que personne n’ouvre cette bouteille, et ma colère est devenue terrible, 1000 ans encore sont passés, et toi qui a ouvert la bouteille, je vais te tuer !”- ”Que dis-tu ? dit le malin pêcheur, toi si grand, si imposant, tu prétends que tu étais dans cette petite bouteille ? Je ne te crois pas.” ”Ah non ? Tiens, regarde.” Et le génie se fait tout petit et rentre dans la bouteille. Aussitôt le pêcheur remet le bouchon. ”Au secours, pitié, ouvre moi. Je plaisantais… Ouvre moi, je réaliserai ton voeu le plus cher.” -”Génie, je t’ouvrirai si tu réalises mon voeu.” -”Bien sûr, demande, et tu seras exhaussé, si tu promets de me libérer.” 
- ”Oui, dit le pêcheur, je te libèrerai aussitôt. Voilà, écoute bien : je veux que mon voeu ne se réalise jamais”. -”Comment, dit le génie dépité, mais c’est impo-po,c’est impossible”. Et il reste enfermé.


Nous racontions ces histoires en théâtre d’ombres il y a quelques années, pour les fêtes de Noël. Nous avions une grande marionnette qui avait eu en cadeau une lampe dont sortait un petit génie, à qui la marionnette demandait de raconter des histoires…

J’y pense aujourd’hui. Des souhaits dérisoires, des voeux qui ne se réaliseront jamais.

Il y a un an, nous nous souhaitions joyeusement la bonne année, et quelques jours plus tard nous étions tous en larmes après le massacre de Charlie. Et puis le 13 novembre à Paris. Chaque jour Le Monde publie la photo de personnes assassinées ce soir-là, et quelques lignes rédigées avec leurs proches, chaque jour je me dis qu’ils auraient vraiment pu être mes amis… J’aurais aimé leur souhaiter à chacun une merveilleuse année 2016, comme à Cabu, comme à tous les disparus de janvier. Eux seront absents, mais leur famille, leurs enfants, et les victimes  de ces attentats qui sont encore en vie, cruellement blessés, quelle bonne année leur souhaiter ?
Il y a un an, nous trinquions en famille à l’annonce de deux naissances à venir. Nous avons perdu l’un des bébés peu de temps après, et l’autre a démarré avec beaucoup de difficultés sa vie de petit homme. Il va bien maintenant, mais comment ne pas penser à notre insouciance d’alors et fêter aussi tranquillement la nouvelle année ?
Cette année 2015 a été rude, nous nous dirons au moins l’espoir que 2016 soit moins dure, moins triste, moins angoissante. Et que les mauvais génies restent enfermés dans leur bouteille.

Quand arrive la période des fêtes et que vous les passez en compagnie de frères, d’amis, dont chacun sait que c’est le dernier Noël, le dernier Jour de l’an, qu’échanger d’autre qu’un triste sourire où l’on essaye de glisser le plus grand message d’amour possible? Je pense à eux aujourd’hui, et au courage qu’il leur fallait pour nous souhaiter une bonne année.

Bonne année, bonne santé, beaucoup de sous dans le porte-monnaie ! 
On sait bien que ça ne sera pas si simple, mais qui sait ? 



samedi 12 décembre 2015

10 chouchous chez AETRE


Dans la collection Àêtre, j'ai mes chouchous. Ceux que je conseille à mes amis. Des plus petits aux plus grands. Les âges ne sont là qu'à titre indicatif, on sait tous que les compétences peuvent changer d'un enfant à l'autre. Le plus important, c'est d'avoir avec eux une complicité de jeu.

 Le mobile Libellule Un mobile fait pour être regardé par dessous, ça paraît évident, et pourtant…ça n'est pas courant. Chaque élément, coccinelle, papillon, fleur, est attaché par un scratch, on peut l'enlever, le mettre sur le doigt comme une petite marionnette pour jouer avec le bébé, et après il retourne en l'air.
La poule de Cilou Ce n'est pas seulement un petit animal à câliner, c'est un jeu de cache-cache (le premier jeu des petits) : sous une aile un oeuf, sous l'autre un petit poussin.

Incontournable pour un premier anniversaire, le Pop up. Sûr que ça plaît aux petits de mettre en place les bonshommes de bois, et puis d'appuyer dessus pour les faire sauter (Il y a un ressort bien caché dans le socle)
On peut faire danser sans se lasser la poule et son oeuf sur sa boite à musique.
Les petits oiseaux qui se cachent dans leur nid, marionnette : il suffit d'une main pour les faire sortir un à un et pépier tous ensemble.


Un pyjama déguisement drôle, confortable, lavable…Le costume gentleman pour le réveillon, irrésistible! J'aime aussi le Théâtre d'ombres. Les silhouettes prédécoupées sont animées avec des baguettes grâce à un scratch qu'on colle sur le personnage et sur la baguette (la bonne idée), et les contes sont choisis dans un répertoire traditionnel oublié, ça nous change du Petit Chaperon Rouge.


Le jeu Bugs pour les plus jeunes (4 à 7 ans) parce qu'il est beau et surtout parce que c"est un jeu de coopération, on perd ou on gagne tous ensemble, pour défendre les bestioles contre le professeur Buggzy ! 
Comme pour Le collier perdu : tous ensemble pour reconstituer le collier de la reine, le temps d'un sablier.


Le Grand Prix pour les plus grands (7 ans et plus) à cause des petites voitures en bois mais aussi pour la règle de jeu originale, qui demande réflexion et sens de l'observation. Joyeux Noël!












mercredi 4 novembre 2015

Génération Père Castor

Les albums du Père Castor ont marqué mon enfance, et en apprenant le décès de Paul Foucher, dont les parents avaient créé ces livres pour enfants, je suis un peu triste. Plus de 100 livres avaient déjà été publiés quand je suis née et ils occupaient une place privilégiée dans la bibliothèque familiale, mes livres préférés, avec leur couverture souple et leurs pages simplement agrafées alors que la plupart des autres étaient reliés avec un dos carré. (Mes préférés avec les Babar, quand même !)

Certains ont été repris récemment à la faveur de je ne sais quel programme scolaire, et beaucoup de jeunes enfants connaissent presque par coeur Roule Galette et Poule Rousse, qu’ils adorent. Deux histoires simples racontées avec des illustrations et une écriture qui ne sont pas typiquement pour enfants ni de notre époque. Deux histoires avec un renard, l'un gagne, l'autre perd. Deux histoires pas politiquement correctes, pas féministes du tout, mais on s'en moque… Ce qui compte c'est le format, le rythme, le dessin ? On les aime, d'une génération à l'autre, mais pourquoi ?

Roule galette, texte Natha Caputo, image P.Belvès
Poule rousse Lida et E.Morel
Cigalou, peinture de Rojankovsky

Donc la troisième génération découvre les images signées par les artistes comme Rojankovsky, Samivel, Belvès, Albertine Deletaille ou Françoise Themerson, parfois très loin d’illustrations dites pour enfants, toujours de grande qualité, et pleines de sensibilité.








Les jeunes enfants à qui je propose de lire ces albums, les aiment comme moi, c'est une chance : Une histoire de singe, La maison qui chanteChat LuneLa boite à soleil  ou encore La panthère noire, et l’incontournable Jamais content.

Chat lune, Alberine Deletaille
Le Jamais content. Vassilissa, R.Simon
J'ai une tendresse particulière pour Tricoti-Tricota, encore une histoire de ménage, mais qui ne se fait pas vraiment parce que la mère des 12 garçons n'a pas le temps de chasser les araignées. J'aimais tellement les 12 garçons qui faisaient les fous et sautaient de joie sur leurs lits superposés! Et l'araignée qui tricotait à la place de la mère…

Tricoti-Tricota, May d'Alençon, F.Themerson
Boucle d'or, RoseCelli, Gerda Muller
Oh! j'ai failli oublier Boucle d'or, qui dit "petit c'est bien" et dont nous avons fait un spectacle, Brieuc et moi, le jour où nous avons rencontré les trois ours en vrai.

 Les enfants ont la passion des collections, les éditeurs le savent et publient depuis longtemps des séries, les Martine en sont un exemple, mais aussi les Monsieur Madame (Hachette jeunesse en France) ou chez Gallimard Jeunesse Loulou le pou etc.

Où Poule Rousse lit La plus mignonne des petites souris

À la fin de certains Père Castor, on aperçoit un autre album, Poule Rousse et la Tourterelle lisent La plus mignonne des petites souris, et cette souris-là est en train de lire Drôles de bêtes à la fin de l’album. J’ai à la maison ce ”Petit Père Castor” édité en 1941, en piteux état, on n’a pas vraiment envie de le lire. Mais il donne à cette collection une profondeur quasi historique. 

Drôles de bêtes, P.François, F.Rolanovsky
Le Joueur de flute de Hamelin, Samivel















mercredi 7 octobre 2015

Je ne joue pas

À regarder le monde ”sous couleur de jouer”, comme disait Jacques Henriot, on finit par voir du jeu partout, et parfois on se trompe.

La chasse à courre
Quand vient l’automne et que je rencontre aux abords de la forêt les chasseurs à courre, avec leur belle tenue, chiens et chevaux, et tous les rituels qui vont des boutons de redingote à la bénédiction des chiens, je trouve cela très amusant, et j’imagine qu’il s’agit d’un grand jeu, avec des règles bien précises et des rôles attribués à chacun.


Boutons de vènerie

Roger Caillois a tenté en 1958 (Les jeux et les hommes) une définition du jeu qui reste d’actualité : le jeu est une activité libre, séparée, incertaine, improductive, réglée, fictive. Sous cet éclairage, la vénerie me semblait a priori un jeu, auquel les équipages participaient de leur plein gré, avec même une sensation de liberté extrême chevauchant en forêt, dans un espace et pendant un temps bien défini, sans être sûrs d’abattre le gibier, sans gain, mais avec des règles très précises, et tout un rituel qui fait de chaque chasse une fête. 
Si les gamers connaissent le gamekeeper comme un spécialiste de jeux de société et de figurines, le gamekeeper est celui qui garantit les bonnes conditions de la chasse à courre, du game, en Angleterre. Cela me confortait dans l’idée que c’est un jeu.

Gamekeeper, Ansdell
Pourtant mes amis veneurs étaient outrés quand je leur ai dit combien je trouvais leur jeu intéressant, avec ses costumes et ses coutumes, ses musiques et ses cérémonies. ”Pourquoi n’est-ce pas un jeu ? leur demandai-je ? - Parce qu’on tue”, m’a répondu C., et m’a sauté aux yeux le dernier critère de Caillois : une activité fictive. Hélas non, ils ne font pas semblant, en effet. 
En Angleterre, la chasse à courre est considérée comme un sport, en France comme une tradition. En tant que telle, cette tradition est assez fascinante, avec ses coutumes ancestrales et son ouverture entre autres aux cyclistes à cheval sur leur VTT.

SI je joue, alors c’est un jeu
Ce n’est pas un jeu parce que c’est pour de vrai, soit. Ce n’est pas un jeu parce que les participants ne considèrent pas cela comme un jeu. Henriot l’a dit et redit, pour qu’il y ait jeu, il faut qu’il y ait un joueur, qui dit, ou pense, ou sent intuitivement peut-être ( ça c’est pour mes chats) ”je joue”.

Dans les médias, la métaphore ludique est devenue banale, jeux politiques, jeux guerriers, jeux des finances, mais aucun des ces ”joueurs” ne joue. On confond jeu et stratégie. On oublie que l’intention de jouer est primordiale.

C’est pourquoi toutes ces pédagogies dites ludiques , ces ”jeux éducatifs" sonnent faux. L’enfant joue-t-il ou se joue-t-on de lui ?

Faire de toute fête un jeu ?
J’ai souvent ici montré comme certaines traditions populaires étaient assimilables à des jeux, auxquels un grand nombre de familles joueraient en même temps : Halloween, la galette des rois, le Père Noël… De là à faire de toute grande fête un jeu, il n’y a qu’un pas, à ne pas franchir sous peine de blesser les participants, qui ne jouent pas. C’est parfois juste une question de vocabulaire. Entre ”se déguiser” et ”se costumer” par exemple. On peut revêtir un uniforme, un costume traditionnel, une robe de mariée, sans intention de jouer. Ou au contraire pour faire semblant d’être un soldat ou jouer au mariage. C’est tout de même un rôle que l’on tient, mais ce n’est pas pour autant un jeu. J’ai parfois fait l’amalgame, sans penser à mal, avec ma fâcheuse manie de ne rien prendre trop au sérieux, et mon appétit de jeu, qui pour moi n’est jamais péjoratif, et j’ai eu tort. 
Le jeu, c’est quand on joue. Point. 

Bruegel, Jeux d'enfants


  

mercredi 30 septembre 2015

La courotte malade et autres jeux chez Marcel Aymé

Il pleuvait, il pleuvait... un temps à bouquiner au coin du feu, et je me suis plongée dans les Nouvelles complètes de Marcel Aymé.

Justement, il y est question de la pluie. Celle que provoque le chat Alfonse en passant sa patte derrière l’oreille. Exaspérés par le mauvais temps qui les empêche de travailler aux champs et pourrit leurs récoltes, les parents décident d’éliminer le chat. Delphine et Marinette sont atterrées, mais avec l’aide des animaux de la ferme arrivent à sauver le chat de la noyade sans attenter à la vie d’aucun autre animal. La patte du chat, j’y pense quand il pleut trop longtemps, j’y pense quand je vois un chat faire sa toilette. Voilà un Conte du Chat Perché qui m’a été lu avant même que je ne sache lire, et qui me revient depuis à chaque grosse pluie.

Le chat dans un sac,prêt à être jeté à l'eau, image École.Abrest


Tout comme l’Arche de Noé, pas l’histoire biblique, mais le conte : il pleut et Delphine et Marinette décident de jouer à l’Arche de Noé. Elles entrainent les animaux de la ferme dans la cuisine devenue Arche le temps du jeu. L’intensité dramatique est à son comble à cause d’une petite poule entrée en retard dans le jeu. Comme il y a déjà une poule dans l’Arche, les petites lui attribuent le rôle de l’éléphant. Mais quand, au retour des parents, le jeu cesse, la poule qui s’est si bien mise dans la peau de son personnage n’arrive plus à en sortir... (L'Éléphant)


serieTV contes chat perche  CANAL + 1994


Parfois les animaux ont du mal avec le "pour de faux"
Moins habiles aux jeux d’imagination que les petites filles, certains animaux, le cochon en tête, sont vite pris d’angoisse quand on leur annonce que l’eau monte depuis 40 jours et qu’il n’y aura bientôt plus rien à manger. Ils sont à deux doigts d’oublier que c’est un jeu, un jeu symbolique, un jeu de faire semblant, un jeu à être. Tout comme le loup à qui les petites apprennent à jouer au loup : "et alors tu nous manges !". Les petites jouent à avoir peur, mais le loup les mange pour de vrai.
Ces animaux parlent naturellement et jouent volontiers, mais ils ont parfois du mal à discerner le vrai du faux, et à garder la distance nécessaire au jeu.

Chat perché, jeu de paume et courotte malade, les jeux des années 30-40.
Donc dans la ferme des Contes du Chat Perché il y a deux petites filles, leurs parents, et les animaux habituels, rejoints parfois par un cerf ou une panthère... Et des jeux.
D'un Conte à l'autre, en commençant par le titre Chat Perché, Marcel Aymé dresse une liste de jeux auxquels on jouait aux alentours des années 1930.

Le jeu de paume est décrit avec précision, gestes et comptine :
"Delphine et Marinette jouaient à la paume dans un pré fauché (...) et le petites criaient avant de faire les gestes : "la tape" ou bien "génuflexion" ou encore "double virette"" (Le mauvais jars).

D'autres sont seulement évoqués : la main chaude, le voleur, les quatre coins, la semelle (La panthère), la paume placée, la balle fondue, la courotte malade (Le loup).

À L'AIDE  ! Qui sait jouer à la Courotte Malade ?

Je n’ai trouvé la trace de ce jeu dans aucun de mes dictionnaires. Et ce nom me fait rêver... Il faut être au moins trois, puisque les petites, dans Le loup, se désolent de ne pouvoir y jouer, étant seulement deux ! On court derrière ses adversaires, car les parents, que la panthère a d’abord forcés à participer aux jeux, "prirent tant de plaisir à jouer qu’ils en vinrent à ne plus pouvoir s’en passer. Dès qu’ils avaient un moment de loisir, ils criaient dans la cour :"Qui est-ce qui veut jouer à la courotte malade ?" Ôtant leurs sabots pour être plus vifs, ils se mettaient à poursuivre la vache ou le cochon, ou la panthère, et on les entendait rire depuis les premières maisons du village." (La Panthère).

Encore en train de jouer au lieu de s'occuper de choses sérieuses
Les adultes ne se joignent aux jeux dans la ferme que dans La Panthère, au point d'inverser les rôles. "C’est à peine si Delphine et Marinette trouvaient le temps d’apprendre leurs leçons et de faire leurs devoirs. "Venez jouer, disaient les parents. Vous ferez vos devoirs une autre fois." 
Habituellement, les parents de Delphine et Marinette voient dans le jeu une perte de temps évidente, et même une menace pour l'avenir des enfants :
"Encore en train de jouer au lieu de s'occuper de choses sérieuses." (Les boÎtes de peinture)
"Toujours jouer, grommelaient les parents, toujours s'amuser. Des grandes filles comme ça. Vous verrez que quand elles auront 10 ans elles joueront encore." (La patte du chat).

Marcel Aymé, jouant des mots et de situations avec humour et malice... Il y a du jeu dans toutes les nouvelles, pas seulement celles du Chat Perché, soit dans l’écriture elle-même, le dénouement en pirouette, soit dans les personnages, des fées maladroites, un homme facétieux qui passe à travers les murs, des accros au casino, des farceurs et des tricheurs ...

Le passe muraille sur la butte Montmartre à Paris, Cynthia crane

Espace Ludique Marcel Aymé
Quand il y a 5 ans l'ELMA a ouvert ses portes à Issy les Moulineaux, je me demandais s'il s'agissait d'une coïncidence, ou si la municipalité, par ailleurs férue de jeu, avait choisi ce nom en connaissance de cause : Espace ludique Marcel Aymé. D'après Carine Auguste, qui fut à l'origine du projet, la famille de Marcel Aymé aurait habité dans le quartier, et déjà un gymnase portait ce nom. Coïncidence donc. Mais dont les architectes se sont inspirés pour créer dans cet espace des coins de jeux séparés par des cloisons-haies, de grandes herbes vertes qui peuvent être traversées comme les murs du Passe Muraille.


mercredi 22 juillet 2015

Passeur d'histoires

J’ai ouvert grand mes oreilles et mis mes pas dans ceux du conteur, du mieux que j’ai pu. Rémi Cochen contait ce soir-là pour une fête de famille, un grand rassemblement où jeunes enfants, adultes et grands-parents se retrouvaient, venus de Vancouver ou de Maastricht, de Liège ou de Bordeaux. J’ai ouvert grand mes oreilles et mis mes pas dans ceux du conteur, du mieux que j’ai pu, pour une balade à Berlobi, « le pays de la Berlue où les gens sont tout bellués, tout éblouis si vous préférez, au point qu’ils prennent le vrai pour le semblant et inversement.»


J’ai ouvert grand mes oreilles et mis mes pas dans ceux du conteur, du mieux que j’ai pu. Et puisqu’il nous contait que les histoires sont faites pour passer de bouches en oreilles, l’envie m’a pris de vous dire l’histoire de la Maman Souris. À ma façon, sans son talent, mais dans ses pas, du mieux que je peux.

C’est une souris qui a 253 souriceaux, 253, je l’ai bien retenu. Et ce jour-là, il n’y a pas d’école, et il ne fait pas beau. Cela arrive parfois, en Bretagne…
La Maman des Souriceaux décide donc de les occuper à la maison, elle sort des jeux de société, pose des devinettes, leur lit des livres, organise une partie de cache-cache, fait des gâteaux avec eux, propose une sieste… Dehors il pleut toujours. En Bretagne, quand il pleut, on dit : C’est un grain, ça va passer, on peut sortir » ou bien « C’est du crachin, ça ne mouille pas, on peut sortir » 
"C'est de la pluie sèche" disent les Écossais. Mais là il pleut une pluie bien mouillée…

La Maman des Souriceaux raconte l’histoire de l’Arche de Noé et propose aux souriceaux de dessiner le bateau et tous les animaux, mais cela tourne à la bagarre, on ne peut pas emmener 253 souriceaux, vous comprenez. 253 souriceaux qui se battent pour avoir leur place sur l’Arche de Noé !

lamamandessouris.fr


N’en pouvant plus, elle décide de les emmener dehors, sous la pluie qui mouille, tant pis. Elle sort les 253 cirés, les 506 bottes en caoutchouc, et hop ! Tout le monde au jardin !
Tout contents, les souriceaux courent partout, et sautent joyeusement dans les flaques… quand tout à coup surgit un chat.

En un instant, tous se retrouvent derrière leur maman, 253 souriceaux tremblant de peur derrière leur maman. Alors la Maman des Souriceaux se tourne vers le chat : « Ouah ! Ouah ! » fait-elle. Le chat cherche à gauche, à droite, et ne voit pas de chien. Mais il est bien certain d’avoir entendu un chien et détale à toute vitesse.

« Vous voyez, dit la maman souris, c’est très important d’étudier les langues étrangères ».




dimanche 7 juin 2015

Mon Grec à moi


C'était avant 68, mais ça n'a pas tellement changé. Je suis de la génération "collège unique". Bonne élève donc inscrite en "classique", avec de l'anglais et du latin dès la 6ème, c'est à l'entrée en 4ème que j'ai choisi de faire du grec.




Une langue morte comme deuxième langue vivante
Dans le collège de banlieue dans lequel j'étais inscrite, on avait le choix entre deux langues vivantes : espagnol ou allemand. Je n'avais pas envie de faire de l'allemand, j'étais bien plus attirée par l'espagnol, mais les enseignants m'estimaient trop bonne élève pour faire de l'espagnol ! On m'a proposé le grec, le grec ancien, pas le moderne.

Helléniste, pour faire ma maligne
C'était flatteur. Je ferais partie de l'élite ! D'une famille plutôt intello mais atypique car ma mère était scientifique et mon père littéraire, j'avais un grand-père qui me donnait depuis ma tendre enfance un petit nom grec, "Taumazoméné" (celle que j'admire, ah la la), et une grande soeur agrégée de grammaire, j'accédais au cénacle ! 
Gamine de 12 ans, je me rêvais vétérinaire (mais vétérinaire de cirque, pour voyager…) et m'imaginais faciliter mes futures études médicales grâce à l'étymologie. Plus que tout, c'est l'alphabet de ce langage codé qui m'attirait.




En fait, j'ai pris le grec comme un jeu
Je ne me suis pas amusée tous les jours avec les déclinaisons, les conjugaisons, le vocabulaire, les thèmes et les versions. Mais j'ai pris plaisir à utiliser cette écriture que les autres ne savaient pas lire. Et à déchiffrer ces textes, comme aujourd'hui je joue au mots croisés ou au Sudoku. Avec la complicité de mon père ou de ma soeur prof, faire marcher mes neurones, résoudre des énigmes. 

Où qu’est la bonne Pauline ? Elle pisse et fait caca
Après 5 ans de grec au lycée, il me reste quelques bribes de Xenophon : quand j'arrive en bord de mer, je crie "Thalassa ! Thalassa !" en souvenir  de l'Anabase , et la seule phrase complète qui me revienne est la fameuse Ouk Elabon Polin, Elpîs ephe kacha, dont je viens de retrouver la traduction : Ils ne prirent pas la ville, car attendre et espérer sont toujours de mauvais conseil.

Le Dyscolos, une comédie de Ménandre

Quand on est 12 élèves dans une classe, et plutôt bons élèves quoique fort dissipés si je me souviens bien, on peut se permettre de belles échappées. Le prof de grec fut ravi de nous voir nous passionner pour une comédie grecque, dont Molière s'inspira pour écrire le Misanthrope, et en faire un spectacle, avec la petite "troupe" que nous avions montée au lycée. Mais en version française, bien sûr, version revue pour la scène par ma grande soeur qui réécrivit toutes les répliques.
Nous étions en seconde, et nous avons passé de très bons moments à fabriquer des masques, nous inspirant de la tradition antique, à confectionner des décors, à répartir les rôles, pour que chacun puisse y figurer : le vieux misanthrope, personnage clé du Dyscolos (en français, L' Atrabilaire, ou Le Bourru), sa fille et le jeune homme qui en est amoureux, les demi-frère et soeur, les servantes, et le dieu Pan que j'interprétais sans vergogne, jeune lycéenne de 15 ans, cachée derrière mon masque, pas tout à fait consciente de l'énormité du contremploi. 

Le prof avait bien essayé de me dissuader de tenir ce rôle, mais devant sa classe d'ados il n'était pas à l'aise pour raconter les turpitudes des dieux grecs, et c'est bien dommage car c'est quand même ce que je préfère dans la Grèce antique. Il était là pour nous enseigner la langue, pas pour nous raconter des histoires… 




"Joue et tu deviendras sérieux" (Aristote)
Pas besoin de faire du grec pour découvrir les dieux de l'Olympe, ni pour adorer l'Iliade et l'Odyssée. 
Ni pour se régaler à la lecture des Oiseaux, de La Paix ou de l'Assemblée des femmes d'Aristophane. 
Ni pour découvrir la pensée dAristote dans sa Politique, où jeu et travail sont complémentaires et inséparables. Le jeu est indispensable pour travailler sérieusement, dit-il. Et réciproquement, l'étude pour bien jouer et avoir de bons loisirs.

Ce qui est bien, c'est que ça ne sert à rien
Étudier les langues mortes, ça ne permet pas de lire les auteurs dans le texte. Et dans la vie, ça ne sert à rien. Mais ça fait marcher les méninges, et ça vous encourage sans doute vers le rêve, la lecture, la réflexion. La culture.

Dès l'école maternelle, on voudrait maintenant que l'enseignement soit utile à l'enfant, qu'il le prépare déjà à un emploi et lui évite les affres du chômage. Adieu poésie, philosophie, dessin, musique, humour.

La plupart des gens qui s'expriment contre la réforme des collèges, pour la défense des humanités, ils l'ont à la maison, la culture. Pour leurs enfants, le latin et le grec qu'ils réclament, cela sert surtout à les maintenir dans des classes privilégiées.

Pour d'autres, la question est culturelle. Il faut maintenir les langues mortes en vie parce qu'elles sont la base de la culture occidentale. Le latin, ce n'est pas à la maison, ni à la télé, ni sur Internet, ni même à l'église qu'on l'entend encore. Donc, le garder à l'école ? D'accord, mais alors pour tous les enfants…

Allons plus loin dans la réforme du collège
"L'échec des plus pauvres est préparé par les options" écrivent Marie-Aleth Grard et Jean-Paul Delahaye, dans Le Monde du 3 juin 2015, défendant la réforme qui doit mener à plus d'égalité entre les collégiens. Auteure d'Une école de la réussite pour tous, Marie-Aleth Grard affirme que tous les élèves pourront faire du latin dès la 5ème. 
Tous pourront, mais tous ne le feront pas. D'un côté les "classiques", de l'autre, encore, les "modernes" ? 









lundi 11 mai 2015

En mai, les poissons japonais

En France en mai on va de fête en fête chômée, internationale, nationale ou chrétienne, (sans parler des mariages, des communions…). Mais les non-pratiquants (majoritaires en France ) ne savent pas vraiment dire de quoi il s’agit, ni ce que l’on fête à l’Ascension comme à la Pentecôte. Et je ne connais pas de tradition ludique qui se rattache à ces fêtes religieuses. 

Le mois du Dano
En revanche en Asie, le double 5 (5ème jour du 5ème mois lunaire) donne lieu à de nombreux jeux partagés. En Chine la course des bateaux dragons, fête de duanwu, par exemple.



Ou en Corée la balançoire pour les jeunes filles (gagnera celle qui monte le plus haut), la lutte pour les jeunes hommes, et les masques Gwanno (classés au patrimoine de l’UNESCO). Autant de traditions liées à la nature, alors que tous les corps célestes convergent à cette date, décuplant les énergies, envoutant les amoureux…



La carpe et le dragon
À la même date, le 5 mai, au Japon, jolie tradition, on fête les enfants en suspendant dans les maisons et dans les rues de magnifiques poissons volants, carpes multicolores dans lesquelles s’engouffre le vent. On dit maintenant « la fête des enfants » mais c’est récent, dans la tradition cette fête (Kodomo no hi) était celle des garçons. La fête des filles, Hina Matsuri, fête des poupées, est en mars.
Comme une manche à air, chaque poisson se remplit de vent et flotte joyeusement. Traditionnellement, il y a celui du père, celui de la mère, et puis un par garçon. Mais rien ne nous empêchera d’en fabriquer et d’en faire voler aussi avec les filles, puisqu’il s’agit de souhaiter à ces enfants le courage et la persévérance de la carpe !



Telles sont en effet les qualités de ce poisson qui aurait la force de remonter à contre-courant les rivières et les cascades. Selon une légende très populaire en Chine comme au Japon, des carpes auraient même remonté le Fleuve Jaune avant de s’envoler dans le ciel en se transformant en dragons.

Encore un coup de pouce du boulanger
Pour faire nos poissons volants, en ce joli dimanche de mai, nous avons utilisé les pochettes en papier dans lesquelles le boulanger glisse ses baguettes de pain. Papier léger et formant déjà une manche à air. 






Côté bouche, nous avons plié les bords plusieurs fois, pour lui donner un peu plus de rigidité et de solidité. 
Sous la pliure, nous avons glissé et caché une fine boucle de fil de fer, pour maintenir la bouche de la carpe ouverte. Avec une aiguille nous avons passé un fil en haut et en bas de la bouche, et nous l’avons noué. Ce fil est relié à un fil plus épais, lui-même attaché à un bâton, pour jouer à faire voler le poisson.



Côté queue, nous avons découpé un trou pour que l’air puisse s’échapper, et nous avons agrafé des bandes de crépon. 
Les enfants ont dessiné la tête du poisson et ses écailles, en utilisant les encres de la pochette du boulanger comme couleur de fond.

Et vole la carpe comme un dragon !





jeudi 26 mars 2015

Marbushka



Quelques jours en Hongrie, en avril 2014 :  voilà un an que nous avons rencontré Beatrix et Làzslo, les Marbushka, dans leur studio de Budakeszi, en banlieue de Budapest. Une pièce très claire dans laquelle Beatrix Bohony crée ses jeux, passant d’un petit pinceau, pour dessiner les visages des pions en bois, à son ordinateur et sa palette numérique, tandis que Laszlo gère fournisseurs et clients, au milieu des boites de jeux, et en compagnie de deux chiens, joueurs eux aussi.

Nous étions curieux de découvrir le nouveau jeu, Bugs, dont nous avions déjà traduit la règle du jeu en français. Les Bugs sont des bestioles que Beatrix a inventées, ils ont chacun leur personnalité, plutôt sympas tout insectes qu’ils sont. Dans le jeu, ils se font prendre par le Professeur Bugsy qui les attrape dans sa boite d’allumettes. Pour tenir dans la boite d’allumettes, les Bugs ne pouvaient pas mesurer plus de 4 cm, Beatrix a créé le Mémory avec les mêmes dessins en plus grand, pour son plaisir, et pour le nôtre, car ils méritent d’être regardés de près. Pas facile, le Mémory !


Un an plus tard, BUGS est présenté et nominé au concours des plus beaux jeux, LUDIA, au Musée de la carte à jouer d’Issy les Moulineaux. Nous sommes de l’aventure depuis le début, et très fiers de le présenter à un public averti dans un musée de la région parisienne. L’année dernière, c’est Frog Prince, dessiné aussi par Beatrix qui avait été nominé à ce concours.

Photo Nök Lapja Ente Magazine
C’est en famille que les Marbushka inventent leurs jeux, avec leur fille -10 ans cette année- qui déborde d’idées. C’est elle, nous dit Beatrix, qui a eu l’idée des deux chemins à choisir dans le jeu Full Moon Circus, donnant ainsi aux joueurs l’initiative et corsant les enjeux. Une toute petite équipe, mais très créative, trois à quatre jeux édités chaque année depuis 2010, et toujours des projets dont Beatrix et Làzslo parlent avec enthousiasme.


La poupée Emma est née au printemps dernier sous nos yeux. Beatrix avait sur son bureau une série de petites têtes en bois, celles que l’on trouve, si mignonnes, dans le jeu Splash, et cherchait comment, cette fois, elle en ferait une jolie demoiselle. Les yeux grands ouverts, ou au contraire baissés, à l’encontre des yeux surdimensionnés des poupées d’inspiration Manga ? Et la coiffure, cheveux courts ou bandeau, mèches folles ou lisses ?

Beatrix les peint une à une, choisit des tissus raffinés, ajoute de délicats accessoires. Chaque poupée est unique, et chaque édition limitée. Un travail minutieux mais aussi très efficace : en quelques mois, à l’automne 2014, une première Emma était dans les magasins. En décembre nous recevions Emma en voyage, la deuxième édition. Pour mai 2015, voilà Janka, avec son petit chignon perché.


Ces poupées ont le corps, les bras et les jambes en tissu. Elles ne charment pas seulement les collectionneurs. Autour de nous de vraies petites filles les ont adoptées, et dans certaines ludothèques elles ont rejoint les jouets de rêve dont les enfants se régalent.

La collection Marbushka, jeux et poupées, est distribuée en France par àêtre.