mercredi 19 novembre 2014

Qui se cache derrière Saint Nicolas ?


Aux Pays Bas comme en Belgique, et souvent dans les pays du Nord de l’Europe, les enfants reçoivent leurs cadeaux « de Noël » le jour de la Saint Nicolas, le 6 décembre. Précurseur du Père Noël, qui lui ressemble beaucoup, ce vieillard à barbe blanche arpente les rues, lors des fêtes locales, accompagné d’un personnage comique qui l’aide à distribuer les bonbons et fait rire petits et grands avec ses mimiques, ses blagues et son accoutrement. Ils sont chacun le faire-valoir de l’autre, Nicolas le saint -le sage-  et Pierrot le noir (Zwarte Piet en néerlandais) le rigolo, comme deux clowns qui se donnent la réplique, clown blanc et Auguste, qui ne sauraient aller l’un sans l’autre.



St Nicolas est-il raciste ?

Le hic, c’est que Piet est noir, ou plutôt maquillé en noir… Maquillé et déguisé, outrageusement, grosses lèvres rouges et boucles d’oreilles, selon la tradition, conforme à une imagerie pour le moins dépassée… Mais si outrageusement caricaturé qu’il n’est peut-être pas si scandaleux que certains, criant au racisme veulent bien le dire. Si outrageusement caricaturé, comme le clown Auguste avec ses grands pieds et son nez rouge - alcoolique sans aucun doute, mais pas au premier degré - qu’il fait rire sans arrière-pensées. 


Le diable noir
Autrefois redoutable car il jouait le rôle du Père Fouettard, personnage diabolique, il punissait les enfants qui n'avaient pas été sages, il était nettement moins sympathique, et moins caricatural.

D'aucuns disent qu'il était noir parce qu'il passait par la cheminée. Comme son homonyme, dans d'anciennes versions germaniques du Pouilleux, Schwartzer Peter, qui était ramoneur. Les ramoneurs ne sont plus noirs de suie, mais le Pouilleux reste de couleur noire, c'est le Valet de Pique, qu'il ne faut pas garder en main. À ce jeu, Peter est celui qu'on rejette, et le perdant a le visage barbouillé de noir de fumée.



Piet, le valet de Saint Nicolas, n’est ni mal traité ni mal aimé. Au contraire, tous les enfants rêvent de se maquiller en noir comme lui. Il paraît qu’il était représenté comme un benêt autrefois. Aujourd’hui, facétieux, blagueur, faisant des niches à son « patron », il est populaire comme Guignol ou Arlequin, à qui il ressemble un peu, d’ailleurs.



Pas politiquement correct, alors ?
Confrontés aux protestations des associations antiracistes, les responsables politiques ont dû trancher : ce personnage caricatural défilerait-il ou non avec  Saint Nicolas ? Le maire de Gouda - ville du célèbre fromage - où débarquait Saint Nicolas cette année, le 15 novembre, pour commencer sa tournée, s’en est sorti avec une pirouette sympathique. Saint Nicolas entouré de plusieurs personnages colorés, dont un personnage jaune, couleur du gouda, avec de petites touches de marron pour le cumin…


Ça me rappelle une histoire, qui se passe aux Ètats Unis. Dans un car scolaire, les enfants se disputent sans cesse, se traitant de « sale blanc » et de « sale noir ». Le chauffeur exaspéré s’arrête, fait descendre tout les enfants et leur dit : « Bon maintenant ça suffit, il n’y a plus de noirs et de blancs, vous êtes tous des bleus, OK ? Alors, on y va, les bleu clair devant et les bleu foncé derrière. »

En Hollande, chacun s’en mêle
La page Facebook de défense de la St Nicolas avec Piet le noir a obtenu en 1 mois plus de 2 millions de likes. Et dans les rues de Gouda, ce 15 novembre, 90 personnes ont été arrêtées lors d’importantes manifestations contre cette fête considérée comme raciste. 

Saint Nicolas, c'est quand même un évêque 
C’est toute la tradition qu’il faudrait remettre en cause : ce personnage de saint, cet évêque avec sa mitre et sa crosse, ne fait-il pas s’étrangler les associations laïques, autant que les chrétiens intégristes ? Saint Nicolas ressuscite les Trois Petits Enfants qui s’en allaient glaner aux champs, mais laissait son acolyte Swarte Piet menacer d'emmener en enfer - dans le noir - les vilains enfants. 
Saint Nicolas, patron des navigateurs, débarque des colonies hollandaises avec son âne et son serviteur… Et défile, en agitant la main tel un pape, et en distribuant des gourmandises… Quel méli mélo !

Au passage, souvenez-vous que ces fêtes traditionnelles, d’origine païenne, correspondent au changement de saison. Saint Nicolas est l'un des premiers personnages magiques annonçant les longues nuit d'hiver, la perte du soleil, le noir.

Et revoilà le Père Noël !
Le Père Noël emprunte à St Nicolas sa barbe, son visage poupin, ses pouvoirs magiques, sa bienveillance à l’égard des enfants, et laisse tomber au passage le Père Fouettard tout noir. S’il est escorté de personnages facétieux, ce sont des petits lutins venus du Grand Nord. Et s’il a une religion, c’est seulement celle de l’argent et du commerce. Un moindre mal ? 

PS. En Angleterre un débat similaire a abouti à l’abandon d’une poupée noire traditionnelle, la Golly Doll, en chiffons ou tricotée maison, autrefois incontournable dans la chambre d’enfants, côte à côte avec l’ours Teddy. 



lundi 3 novembre 2014

Avatar à Prague, des jouets pour se souvenir


À Prague, le 17 novembre 1989* a été le point de départ de la Révolution de velours, une révolte pacifique qui a mené à la fin du régime communiste totalitaire. Ce jour-là, une répression sévère et violente s'abat contre les nombreux pragois descendus dans la rue, quelques jours après la chute du mur de Berlin, pour protester contre l’autorité en place, et coincés par les forces de police qui bloquaient toutes les issues et ne leur laissaient pas la possibilité de fuir.


Les enfants ne perçoivent pas du tout ce qu’a été le 17 novembre pour leurs parents. "Pour les enfants, c'est un événement abstrait coïncidant avec les guerres et les révolutions anciennes, pour nous, parents, c’est une histoire personnelle et familiale », disent Tania et Mirek, pour expliquer leur projet, un film qui montre les manifestants face aux forces de police, qui permet aux adultes de dire ce qui s'est passé, aux enfants de l'entendre, grâce aux jouets .


Tania Slánské-Markova et Mirek Trejtnar en pleine préparation
Autour du plan de la ville, posé sur des tréteaux, les adultes se souviennent de ce qu'ils ont vécu il y a 25 ans, et le racontent, en choisissant un jouet qui sera leur avatar. 
C'est l'idée de Tania Slánské-Markova, auteure de documentaires engagés, et de Miroslav Trejtnar, créateur de marionnettes et de films d’animation (notre prof de marionnettes dragons lors d’un stage enthousiasmant).

Les manifestants cernés, extrait du film en cours de tournage

On déplace son avatar sur le plan de Prague comme sur un plateau de jeu. Le jouet choisi représente celui qui raconte, tel qu'il était il y a 25 ans, et permet de rendre le récit plus abordable pour les enfants, il rapproche l’enfant de son père ou de  sa mère qui était alors jeune homme, jeune femme, et le plus souvent enfant. Et il facilite la parole des adultes en jouant son rôle de transfert : c’est l’ourson ou le Playmobil qui a eu peur, qui a cherché à fuir, qui a pris des coups. L’avatar permet de se débarrasser de la honte, lors de la présentation publique, d’une expérience privée douloureuse. Une souffrance parfois enfouie qui va s’exprimer par le jeu libérateur.

Ce monsieur explique comment il a cherché à s'enfuir en  se laissant glisser le long d'un réverbère


Le film montre les parents qui revivent ces moments dont ils ont été les témoins, voire les victimes, les enfants à l’écoute des souvenirs et leur intérêt dans le récit des parents. Et l’importance de partager, transférer les souvenirs personnels dans les familles, entre générations. 

*C’était une  date anniversaire, 50 ans après la révolte étudiante contre l’occupation nazie, le 17 novembre 1939. Aujourd’hui, le 17 novembre est un jour férié dans le calendrier tchèque et dans le calendrier slovaque, le Jour de la lutte pour la liberté et la démocratie.