mardi 9 avril 2013

Mehen, Senet et Douze lignes : 5000 ans de jeu.


Vous faites de fouilles, vous tombez sur une pierre plate, ronde ou rectangulaire, gravée de quelques traits en damier, et vous pensez qu’il doit s’agir d’un jeu, mais comment savoir ?
C’est troublant, émouvant, de voir ces jeux de l’antiquité qui ressemblent fort à des jeux contemporains.

Le Serpent, ou Mehen, né en Egypte 3000 ans avant JC, ressemble à notre  Jeu de l’oie. De case en case on déplace des billes sur cette spirale, et parfois à côté de la tête du serpent on trouve déjà un volatile. Mais il y a aussi de grosses pièces en forme de lions, ce jeu n’aurait-il pas quelque parenté avec Le Jeu de la Hyène auquel on joue encore au Soudan ? Les mères s’en vont chercher de l’eau, la hyène, plus grosse les dépasse et les mange à l’occasion, pour arriver la première à la source, au centre d’un parcours en colimaçon.
Les jeux de lignes formant des carrés  rappellent le jeu de Marelle, avec ses variantes, le Morpion ou le Moulin, où toujours il faut pour gagner aligner 3 pions, ou 5, ou 6 selon la complexité du Jeu. On le dessine encore dans le sable, pour jouer à la plage avec des coquillages.


Le Senet, ou Jeu des 20 cases (parfois 30) serait l’ancêtre du Backgammon (et du Tric Trac , du Tic Tac Toe et du Jacquet, ses cousins). Chacun a un certain nombre de pions disposés sur le parcours, qui saura faire sortir tous ces pions le premier, en renvoyant au point de départ quelques pions de l’adversaire au passage ? On joue déjà à 3 dés, comme au Moyen âge avec le Jeu des Tables, et maintenant au Backgammon.
Et que penser du jeu des 30 points, ou 58 trous, aussi connu sous le nom de Renards et chacals  ou jeu du Palmier ? Un genre de Backgammon lui aussi ?

De même le Jeu des 12 lignes,  ou Kuboi. Parfois les lignes sont remplacées par 3 phrases, maximes ou pirouettes ironiques, chaque lettre correspondant à une case sur laquelle va se poser un pion.  Jean-Marie Lhôte dans son Histoire des jeux en donne trois exemples :
SI TIBI TESSELA
FAVET EGO TE
STUDIO VINCAM
(Si le dé te favorise moi je te battrai en m’appliquant)
INVIDA PUNCTA
JUBENT FELICE
AUDERE DOCTUM
(De mauvais points obligent le joueur habile à bien jouer)
Et même
OTE TOI DE LÀ DONNE TA PLACE TU NE SAIS PAS JOUER IMBECILE

J’ai parlé en 2010 des réflexions de Jean-Marie Lhôte à propos du jeu Royal d’Ur et du système sexagésimal (base 60) : " il est intéressant d’observer que tous les nombres, sans exception, sont des diviseurs de 60." remarquait-il. Pour le Jeu des Douze lignes, même réflexion : pourquoi 12, alors que Grecs et Latins utilisaient un système décimal ?

Force est d'imaginer la règle, quand on n’a en main que des tablettes gravées et des pierres ou des coquillages les accompagnant. Énigme d’autant plus grande que ces jeux ne sont ni d’une même époque (de -3200 à -300) ni d’une même région (Iran, Chypre, Egypte, Lybie, Grèce, Rome, Soudan, Palestine…).

Heureusement certaines gravures, montrent des joueurs en action, quelques textes énoncent des règles. Rares sont cependant les images du plateau de jeu, qui permettraient de voir la place des pièces. Ainsi pour Achille et Ajax : plusieurs poteries les montrent en train de jouer, mais de profil. Un seul vase les montre avec une vue plongeante qui donne à l’expert la possibilité d’analyser leur jeu (et je n'ai pas d'image à montrer, hélas).


Archéologues, pas ludologues,  voilà bien la difficulté pour les chercheurs. N’étant peut-être pas joueurs eux-mêmes, ils peuvent se méprendre. Ulrich Schädler, directeur du Musée Suisse du Jeu, s’insurge contre ces collègues archéologues qui, ayant trouvé de nombreuses roues gravées sur plateaux de pierre (un rond et des rayons qui se croisent tous en son centre), les interprétant comme des jeux de Moulin ou de Marelle (où il faut aligner 3 cailloux pour gagner), en ont déduit que les Romains étaient très friands de ce jeu. Puisqu’on trouve ces « Jeux de Moulin ronds » en nombre dans les rues et les maisons, c’est que ce jeu était très populaire chez les Romains, affirment-ils.  On voit bien qu’ils n’ont jamais essayé d’y jouer, dit Ulrich Schädler, ce jeu ne présente aucun intérêt et ne finit jamais, les Romains n’étaient pas assez stupides pour se passionner pour un tel jeu.  Alors, c’était quoi cette roue ? Sans doute pas un jeu, sûrement pas un jeu de Moulin. (1)


Le Libro de los juegos, le Livre des jeux, écrit à la demande du roi Alphonse X de Castille entre 1251 et 1283, se compose de 98 pages et 150 enluminures. Y sont présentés les jeux de raisonnement pur comme les Échecs, les jeux de hasard comme les Dés, et les jeux mêlant hasard et raisonnement dits Tables.
Il s'agit de l'un des documents les plus importants de recherche historique sur les jeux de société. Le seul original connu, un manuscrit,  se trouve en Espagne à la bibliothèque du monastère de l’Escurial.
Le livre contient la description la plus ancienne connue de certains de ces jeux, et fait encore référence. Mais là encore, selon Ulrich Schädler, ceux qui l’on traduit, n’étant pas experts des jeux, en ont déformé le sens. C’est en 2011 seulement qu’est éditée la traduction qu’en a fait Ulrich Schädler, fort de sa connaissance des jeux, en Allemand, malheureusement pour ceux qui ne sont pas germanophones.
Alfons X. Der Weise Das Buch der Spiele. Übersetzt und kommentiert von Ulrich Schädler und Ricardo Calvo Reihe: Ludographie - Spiel und Spiele
Bd. 1, 2. Auflage, 2011, 336 S., 29.90 EUR, gb., ISBN 978-3-643-50011-3

Pourvu qu’un ludologue, ludographe ou ludophile nous offre vite la traduction française et ludique de ce Das Buch der Spiele !

Note. (1) Musée de Cluny, Paris, journée d’étude, 12 février 2013.

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