Deux journées – très différentes- étaient organisées par l’Université Paris XIII, les 4 et 5 mai 2012, pour fêter
les 30 ans du DESS et rendre hommage à son créateur, Jacques Henriot – auteur
de deux ouvrages, Le Jeu (1959) et Sous couleur de Jouer (1989).
Nous avions l’impressions d’avoir Raymond Devos devant nous
Le samedi, nous nous retrouvions
entre anciens étudiants et enseignants. Jacques Henriot professeur, seule
Christine Mathieu, responsable des ludothèques d’Orly, l’a évoqué. « Nous
avions l’impressions d’avoir Raymond Devos devant nous » a-t-elle raconté,
et c’est vrai. Mis à part que c’est un monsieur élancé et très élégant, c’était
tout à fait ça. On en sourit encore, mais on en garde aussi une remise en
question permanente de nos certitudes –dans nos métiers au moins. Quant au JEU,
nous n’avons pas fini de nous interroger.
Le vendredi un colloque
supervisé par Gilles Brougères et Elisabeth Delmas : neuf universitaires
présentaient leurs travaux à l’aune de la pensée de Jacques Henriot
Les mots pour le dire
Jouant leur rôle de
chercheurs, les intervenants avaient tendance à angliciser ou latiniser leurs
propos : serious games, gamisation, gamification,
ludification… Jacques Henriot, toujours courtois mais critique, en aurait sans doute souri. On en oubliait
le Jeu. Le Français a la particularité d’utiliser le même mot pour désigner le
JEU comme objet (Je joue avec ÇA), comme pratique (Ça se joue comme ça) et
comme attitude (Je JOUE, là). Utiliser PLAY ou GAME pour préciser de quoi l’on
parle paraît donc utile, mais déjoue aussi la pensée de Jacques Henriot, qui
s’appuie sur cette trilogie. Un philosophe ne joue-t-il pas toujours avec les
mots ? De même l’homophonie entre Jouer, Jouet, Joué conduit-elle les
orateurs à utiliser l’anglais, Play, toy, playing… Traduire Jacques Henriot
paraît donc une gageure (1).
Sans parler du
« jeu » au sens de distance, espace, mouvement, comme le jeu qu’il y
a dans un mécanisme, dans une serrure, distance, espace, mouvement
indispensables au Jeu selon Henriot.
Porte ayant du jeu
cherche partenaire.
Pierre Dac (petite annonce publiée dans L’Os à moelle, 1982, cité par Henriot)
« Le jeu n’est rien
d’autre que ce que fait le joueur quand il joue » (Jacques Henriot)
Mathieu Triclot, de
l’Université de Belfort Montbéliard, et Bernard Perron, de l’Université de
Montréal, déplorent l’ignorance des écrits de Jacques Henriot dans les games studies, « qui se sont
constituées sur une définition restrictive du jeu comme système de
règles. »(M.Triclot). Il manquerait à la théorie du Game une théorie du Play, l’
‘attitude ludique’.
Sous couleur de jouer, la gamification
Voilà nos chercheurs
partis dans une réflexion, via les jeux Vidéo et les Serious Games, sur la gamification, où, sous couleur de jouer (sous prétexte de, avec l’apparence de
jouer) on cherche à faire comprendre, à initier, à enseigner… Haydée Silva, de
l’Université Autonome du Mexique, qui utilise le jeu dans la pédagogie des
langues, s’en amuse, et s’en explique : « ‘Gamification’ serait pour
certains ‘le buzz word de l’année 2010’. Né à la croisée des jeux vidéo et du
marketing, ce néologisme désigne aujourd’hui l’élargissement du paradigme
ludique à des domaines dont il est censé être habituellement exclu :
travail, santé, éducation ». Joue-t-on alors ?
La gamification, c’est aussi l’utilisation d’une image de jeu, « La métaphore ludique » (c’est le sous-titre de Sous couleur de Jouer), pour décrire et comprendre le monde environnant. Le vocabulaire ludique est constamment utilisé dans la presse. Particulièrement pour nos hommes politiques qui ‘jouent leur va-tout’, ‘perdent la première manche ‘, ‘jouent un double jeu’, sur ‘l’échiquier politique international’. Dans cette acception, il y a jeu car il y a règles, stratégie, but. Distance, aussi, certainement. Peut-être aussi parce qu’il y a duplicité, théâtralisation, rôle, voire tricherie.
On ose espérer que nos représentants ne vont pas pour autant
adopter ‘l’attitude ludique’, qu’ils ne sont ni dans le faire semblant ni hors de la réalité. Bref qu’ils ne se jouent pas
de nous.
(1) On ne connaît qu’une
seule traduction, de Le Jeu, et en
japonais, selon Gilles Brougères.
A lire à propos de Jacques Henriot, le travail de Sébastien GENVO :http://www.ludologique.com/wordpress/?p=271
A lire à propos de Jacques Henriot, le travail de Sébastien GENVO :http://www.ludologique.com/wordpress/?p=271
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