Le redoutable Eyjafjöll dormait quelque part sur les terres d’Islande. Soudain il s’éveilla et se mit à cracher du feu… Un énorme nuage s’éleva haut, très haut, et loin, très loin, tous les gros oiseaux durent rester cloués au sol. Qu’en fut-il de la population qui vivait aux pieds d’Eyjafjöll ? Furent-ils inquiétés, brûlés, étouffés sous une couverture de cendres, perdirent-ils leurs maisons, leurs terres, leurs cultures ? Nul ne s’en souciait, on ne se préoccupait que des gros oiseaux qui ne pouvaient plus voler.
C’est sur une montagne au sud de l’Islande que vit Eyjafjöl, à 150 km de Reykjavik. Les gros oiseaux craignent les cendres qui s’élèvent haut dans le ciel, les bêtes au sol risquent de mourir à cause des gaz qui s’échappent de ses naseaux, le glacier sous lequel se cachait ce monstre va fondre, et l’eau tout inonder. À la suite d'Eyjafjöl, peut apparaître Lahar. Lahar est un serpent brûlant qui descend de la montagne, entraînant la mort sur son passage. Déjà on l’a entendu éternuer, c’était comme une énorme explosion, et puis il a craché une colonne de vapeur d’eau à 7 km de haut dans les airs…
Quand j’étais petite, un de nos jeux favoris était le jeu du volcan. Avec mon frère Vincent, et peut-être bien notre grande sœur Francine, nous passions des heures à dessiner sur un tableau noir, à la craie, une grande montagne sur laquelle vivaient des familles heureuses, des animaux bien nourris, poussaient des fleurs et des forêts. Nous dessinions avec minutie la maison de chacun, l’école et l’église, la poste et l’hôpital, les rues et les boutiques, les jardins et les bois. L’un de nous prenait alors une éponge humique, fermait les yeux, et se faisait guider la main au somment de la montagne. Le volcan se mettait à gronder, puis détruisait tout sur son passage tandis que l‘éponge effaçait, au hasard, maisons, hommes et bêtes. Celui qui tenait le rôle de la lave brûlante ouvrait alors les yeux, et nous constations les dégâts. Pour chaque personne tuée, nous faisions une jolie croix dans le cimetière, qui s’agrandissait à chaque coulée de lave représentée par l’éponge, et puis nous reconstruisions le village, tant bien que mal, nous nous occupions de soigner les blessés, réparer les maisons, planter de nouvelles fleurs.
Une fois le paysage redevenu paisible, l’un de nous, les yeux bandés, brandissait à nouveau l’éponge humide.
Nous n’avions de cesse de reconstruire, décorer, embellir notre montagne, et puis de détruire cette belle harmonie, enterrer « nos » morts, et recommencer.
(J'ai emprunté cette image sur un site Freinet, n'ayant plus nos dessins sur le tableau noir, pardon et merci à l'enfant qui me "prête" ce dessin-là.)
Construire, détruire, encore et encore, c’est un jeu avec lequel les enfants se construisent. Les adultes ont tort quand ils interviennent d’un ton désapprobateur quand une tour en Kapla s’écroule « exprès » ou quand la collision de deux navettes spatiales aboutit à un amas informe de briques Lego. Ils devraient au contraire, s’ils ont envie de commenter l’événement, admirer cette chute vertigineuse, mais en enchaînant par un encouragement à reconstruire une tour encore plus grande, un vaisseau encore plus perfectionné.
Les jeux symboliques avec la mort inquiètent les grandes personnes. Combien d’angoisses pourtant s’apaisent par la réalisation de ces cimetières plus ou moins « pour de faux ».
Corentin et Basile, qui jouaient énormément aux Playmobil, avaient installé une ville Far West entière, avec le saloon et l’école, la banque, la prison dans le bureau du shérif, le fort des tuniques bleues et le camp indien un peu plus loin, les diligences, les chevaux, les bisons, tout. Il ne manquait dans les boites Playmobil qu’un lieu, bien présent dans les histoires de Lucky Luke qu’ils lisaient parallèlement, c’était le cimetière. Pas facile en effet pour le fabricant de proposer à la vente la boîte cimetière, pas facile à un adulte de l’offrir à ses enfants ! Mais il fallait bien dans les histoires, après le duel ou l’attaque de la banque, enterrer les morts. Ils se fabriquaient donc de jolies petites croix, quand ce n’était pas le gibet pour pendre le condamné à mort… sauvé in extremis, je vous rassure, par le héros qui coupait la corde d’un coup de revolver (en tout cas si un adulte trop sensible, comme leur mère, était témoin, par hasard, de la scène…).
Corentin et Basile, qui jouaient énormément aux Playmobil, avaient installé une ville Far West entière, avec le saloon et l’école, la banque, la prison dans le bureau du shérif, le fort des tuniques bleues et le camp indien un peu plus loin, les diligences, les chevaux, les bisons, tout. Il ne manquait dans les boites Playmobil qu’un lieu, bien présent dans les histoires de Lucky Luke qu’ils lisaient parallèlement, c’était le cimetière. Pas facile en effet pour le fabricant de proposer à la vente la boîte cimetière, pas facile à un adulte de l’offrir à ses enfants ! Mais il fallait bien dans les histoires, après le duel ou l’attaque de la banque, enterrer les morts. Ils se fabriquaient donc de jolies petites croix, quand ce n’était pas le gibet pour pendre le condamné à mort… sauvé in extremis, je vous rassure, par le héros qui coupait la corde d’un coup de revolver (en tout cas si un adulte trop sensible, comme leur mère, était témoin, par hasard, de la scène…).
Comme beaucoup d’enfants, j’ai pleuré devant une petite bête morte : un oiseau tombé du nid, un serpent aplati par une voiture, et je me suis consolée, et remise de cette émotion pourtant très forte, en creusant une petite tombe, en recherchant une boite en carton de la bonne taille pour faire le cercueil (je me souviens de la boite d’un tube de néon pour un serpent), en fabriquant une croix, en décorant la petite tombe avec des fleurs ou de petits cailloux. Comme Michel et Paulette, les deux enfants de Jeux Interdits, un film de 1951 dans lequel jouait Brigitte Fossey, 5 ans.
Je me demande parfois ce qui fait la différence entre « être enfant » et « être adulte ». Voilà une différence. La mort me bouleverse toujours autant – je ne parle pas seulement de la mort d’un être cher, ni même de la mort d’un être humain, mais de la mort « anonyme » en quelque sorte -, pourtant je crois que je ne saurais plus calmer mes émotions ni maîtriser mes angoisses par le jeu. Faire semblant ne « marche » plus. Mais j'approuve ces jeux d'enfants. Ils sont d’autant plus importants dans notre société où la mort est quotidienne dans les médias– dans les jeux vidéo, dans les séries télé policières, et, mélangée aux autres images, dans les infos - et tabou, inexistante, tue dans le discours quotidien des adultes face aux enfants.
C'est drôle de dire que la mort est "tue"...mais c'est bien vrai.
RépondreSupprimeroui,c'est vrai ! on dit :"mme X a perdu son mari.."; et Cécile m'a demandé,tout bas,"mais comment elle a pu faire pour le perdre ?" Les gens "disparaissent","nous quittent".. Ceci dit,ce texte est très réussi ! (je me rappelle que tes enfants allaient jusqu'à sacrifier des playmobils,pour faire des "vrais" morts,ou des blessés..)
RépondreSupprimerJe le confirme. Et nous conservions précieusement les petits soldats qui avaient perdu leurs pieds et ne tenaient par conséquent plus debout, pour orner les champs de bataille.
RépondreSupprimerIntégrer la mort dans le jeu permet avant tout de le rendre réel, vraisemblable. Mais heureusement, celle-ci n'a pas sa place dans tous les jeux. Car le jeu sert aussi à nous divertir.