Il y a 40 ans, j’ai fait un rêve. Au réveil je l’ai
posé sur du papier. Et puis j’ai eu envie d’en faire un spectacle de
marionnettes, alors j’ai passé une petite annonce dans Libé, à la recherche de
marionnettistes. Et d’un musicien, parce que j’avais déjà une belle expérience de
marionnettes en papier mâché, géantes, manipulées à vue et accompagnées en
direct par un musicien de jazz, Bernard Vitet. Il jouait de la trompette, et il
avait composé de superbes chansons médiévales pour l’histoire que nous
interprétions, Aucassin et Nicolette.
Il y a 40 ans, en octobre, Jean a débarqué dans mon
salon, le grand Jeannot avec sa tignasse rousse frisée et sa moustache, sa
grosse voix et son extrême gentillesse. Et aussi Jacqueline, un deuxième Gérard,
puis Luc avec son saxo, et enfin Geneviève. On a poussé les meubles, on a
installé une grande table sur des tréteaux, j’ai raconté mon histoire et on a
commencé à modeler en terre nos personnages. Impossible de vous dire qui a fait
qui. Nous avions une ligne, nous voulions des marottes -manipulées sur un bâton,
donc- , même les corps seraient en papier mâché. C’était une vraie création
collective, qui s’est mise en place au milieu de mes deux enfants, le groupe participant
presque autant que leur papa ou moi à la préparation du biberon ou au change
des couches. Bientôt nous avons dû trouver une salle plus grande pour contenir
non seulement notre joyeuse bande mais de nombreux personnages, assez rigides,
peints en vert, anonymes. Excepté Lo et le Bateleur.
Voici l’histoire, telle que je la récitais en début de
spectacle, tandis que Luc improvisait sur son saxo (pendant ces quelques
minutes ma fille s’endormait dans les bras de Jean, qui était le dernier à entrer en scène, il avait juste le temps
de la poser dans un lit avant de s’emparer de sa marionnette).
Je suis LO. Je marche dans la rue, des badauds se
groupent autour d’un homme.
C’est un bateleur.
De son sac, il sort des boites
allongées, roses, à base triangulaire, et qui parlent.
Ce sont des voix de petites filles, des petites filles
prisonnières des boites.
Je leur explique qu’il faut arrêter le bateleur.
Les
gens ne comprennent pas, ça les fait rire.
Ils font semblant de me croire, ils
jouent à l’arrêter…
Ils montent avec lui dans un train. Je suis dans le
train moi aussi.
Le train démarre et je vois le sac, abandonné sur le quai.
Il
a laissé le sac, les boites, les preuves.
Je me précipite dan leur wagon, je leur crie
d’arrêter, le bateleur rit.
Je suis prisonnière moi aussi.
Dur, parfois drôle, pas vraiment « pour
enfants » mais parlant de l’angoisse des enfants confrontés à des adultes
qui ne les prennent pas au sérieux.
Il y a 40 ans, avec ce spectacle, notre troupe
modestement appelée Le Bouche-Trou a participé à un concours de l’Union
Internationale de la Marionnette, UNIMA France, et le 22 mai 1974, à Amiens, confrontés
à 8 autres troupes –des vraies celles-là- nous avons été parmi les 3 sélectionnés
pour la finale nationale à Paris en juin 74. C’est là que nous avons découvert
le magnifique spectacle de Björn Fülher, Le voyage en mer. Bjorn a gagné le premier
prix, bien sûr, mais face à lui nous étions drôlement fiers de notre prix
spécial d’originalité.
Un peu plus tard notre groupe a éclaté, à l’issue
d’une tournée d’été, mais ce que nous avions vécu, nos émotions, nos
complicités, nos convictions aussi nous avaient soudés. En 40 ans, on a le
temps d’en prendre, des chemins différents. Mais je ne suis pas seule à pleurer
Jeannot. Tout Le Bouche-Trou le pleure.
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