Moi qui m'inquiète souvent de voir la place du jeu à l'école, à commencer par l'Ecole Maternelle, se réduire comme peau de chagrin, je m'en réjouis.
Mais pourquoi dire "une place particulière doit être accordée au jeu d'échecs" ?
Mais pourquoi dire "une place particulière doit être accordée au jeu d'échecs" ?
"La pratique du jeu d'échecs conduit (...) à développer des compétences mobilisant logique, stratégie, rigueur, concentration, mémoire et capacité d'abstraction, qui sont toutes des facteurs de réussite", écrit-on. Je comprends que la pratique de ce jeu développe des qualités d'abstraction et de "calcul" semblables à celles d'un mathématicien. Encore faut-il, pour "développer ces compétences" les avoir déjà acquises. Se retrouver de but en blanc devant un jeu d'échecs, sans avoir auparavant expérimenté le Jeu avec des jeux à règles simples paraît prématuré.
Le jeu d'échecs, oui, mais le jeu en général permet " l'apprentissage de la citoyenneté, par le respect des règles et d'autrui." Dès que les enfants se réunissent autour d'une table et attendent leur tour pour lancer le dé, ils sont confrontés en effet aux contraintes de la vie avec les autres, mais ce qui est essentiel dans le jeu n'est pas souligné dans la directive ministérielle : ils acceptent ces contraintes, ils les font leurs, parce que sans elles le jeu et le plaisir du jeu, du jouer ensemble, ne peut exister. Ce n'est pas apprendre à respecter les règles qui est fondamental - et que fait-on tout le reste du temps à l'école, du reste ?-, c'est apprendre que sans règle ça ne marche pas. Dans une boîte de jeu, en général, il y a une règle écrite. Elle est la même pour tous, et les joueurs peuvent s'y référer en cas de litige. A la limite on peut la modifier si on en prend la décision tous ensemble au préalable. Mais on ne s'amusera bien ensemble qu'à la condition de respecter la règle, les autres et le temps du jeu. Cela vaut aussi pour les jeux dont on ne trouve pas la règle écrite dans une boîte (c'est d'ailleurs souvent le cas des jeux d'échecs, dont la règle se transmet oralement la plupart du temps). Tous les jeux auxquels on joue dans la cour, jeux de chat, jeux d'adresse, et même des jeux d'imitation ou de faire semblant, pour lesquels, je l'ai déjà dit ailleurs, un règle implicite ou explicite est forcément sous-jacente ( "On serait dans un avion, tu serais le pilote..."), même si les joueurs n'en ont pas clairement conscience.
En ce qui concerne "autrui", je reconnais que le jeu d'échecs est un champion de l'empathie, un bon joueur imagine avant de poser sa pièce comment réagira son adversaire : "si j'avance mon cavalier, tu vas bouger ta tour, et alors...". Oui, je cherche à me mettre à ta place, mais c'est pour mieux te manger, mon enfant !
Le jeu d'échecs ne doit rien au hasard. Voilà pourquoi, sans doute, il est le bienvenu à l'Ecole, et pourquoi, de mon côté, j'ai des réserves sur ses vertus éducatives.
Bien entendu c'est un outil pédagogique fabuleux, qui " mobilise et entraîne les capacités de mémorisation et d'anticipation de l'élève, ainsi que de repérage spatial sur l'échiquier et ses représentations graphiques", particulièrement pour l'enseignement des mathématiques : " À titre d'exemple, l'introduction des notions de repérage en classe de sixième, de puissance en classe de quatrième ou encore de translation en classe de seconde peut s'appuyer de manière pertinente sur des situations proposées", souligne la circulaire du 12 janvier dernier.
Encore faut-il entrer dans ce jeu. Et gagner.
Le jeu d'échecs favorise l'esprit de compétition. "La Fédération française des échecs étant une fédération sportive, le jeu d'échecs peut se pratiquer dans le cadre du volet sportif de l'accompagnement éducatif, à l'heure des repas, le soir après les cours, ainsi que le mercredi". Dans ce "sport" comme dans les autres, tout le monde ne peut pas être champion. Que cherche-t-on ? Une élite, capable de remporter des tournois ? Il faut introduire dans l'Ecole des jeux d'échecs ET d'autres jeux, sans hiérarchie, qui mettront en avant les qualités de chacun, le plus adroit comme le meilleur stratège, le plus costaud comme le poète le plus inspiré... Avec parfois un peu de hasard, pour que tout le monde un jour puisse gagner.
Et comment organiser les "cours de jeu" ? Pour que cela reste du jeu, il faut que l'on soit libre de jouer ou non. Introduire le jeu à l'Ecole, c'est accepter de faire de la pédagogie à la Freinet, dans des classes où les enfants ont une réelle autonomie. Quel beau projet ! Mais est-ce bien l'idée du Ministère?
Ce que ne dit pas cette circulaire en revanche, et qui pour moi est le meilleur argument en faveur d'une initiation au Jeu d'échecs à l'Ecole, c'est son universalité. Il est peu de jeux, en fait, où il ne soit pas nécessaire de parler un tant soit peu la même langue pour jouer ensemble. Dans une soirée, face à des russes ou des chinois, s'ils sont joueurs d'échecs, trouvez un échiquier et vous passerez un excellent moment, vous vous comprendrez parfaitement.