Oui, j’arrive après la bataille, c’est avant Noël que tous les ans la presse nous concocte 5 ou 6 articles censés nous informer et nous aider à bien choisir les jouets, en mélangeant trop souvent sécurité et éthique, Chine, travail des enfants, accidents domestiques et profit.
C’est en 1989 que l’Europe s’est décidée à établir des normes communes à tous les pays européens en ce qui concerne les jouets. Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans… L’Europe en ce temps-là, comptait 12 membres : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, et 2 nouveaux arrivés en 1986, l’Espagne et le Portugal.
Chaque pays avait auparavant ses règlementations propres, c’était donc un casse-tête de faire circuler des produits d’un pays à l'autre, car il fallait adapter l’étiquetage aux règles de chaque pays.* Et, derrière l’étiquetage, avoir les mêmes critères de qualité et de sécurité.
À l’époque, des accidents graves avaient sensibilisé l’opinion publique à la nécessité d’établir une réglementation : doigts sectionnés avec des mécanismes de poussettes de poupée mal étudiés, brûlures graves avec des peluches qui s’étaient enflammées comme des torches, étouffements avec des objets en mousse gonflant dans la gorge comme une éponge…
Les normes furent donc bien accueillies par tous, même si elles représentaient pour les professionnels des difficultés de mise en place et de compréhension, d’autant qu’il fallait les interpréter et les assimiler en une dizaine de langues.
Les normes européennes de sécurité pour les jouets se résument en trois points essentiels :
EN71. 1 : propriétés mécaniques et physiques.
EN71.2 : inflammabilité
EN71.3 : migration de certains éléments, autrement dit propriétés chimiques.
Auxquels s’ajouteront des éléments spécifiques à certains jouets :
NF EN 71-4 (novembre 2003) : coffrets d’expériences chimiques.
NF EN 71-5 (mars 2006) : jeux chimiques (coffrets) autres que les coffrets d’expériences chimiques et d’activités connexes.
NF EN 71-7 (décembre 2002) : peintures au doigt.
NF EN 71-8 (mars 2006) : toboggans, balançoires et jeux similaires à usage domestique
Ces normes concernent tous les jouets, à l’exception de certaines catégories qui échappent aux réglementations (ornements de Noël, modèles réduits, équipements sportifs, feux d'artifice, fléchettes, poupées de collection,...). Je n’ai jamais compris comment on pouvait considérer que ces jouets-là ne sont pas concernés par la loi, d’autant qu’ils sont pour la plupart réputés dangereux (« en raison des mesures particulières de surveillance requises pour leur utilisation par des enfants » dit le texte).
Selon les textes européens, on entend par jouet tout produit conçu ou manifestement destiné à être utilisé à des fins de jeux par des enfants d'un âge inférieur à 14 ans.
Hors ces exceptions, tout jouet mis sur le marché européen doit être conforme aux normes EN71, tests à l’appui, et le logo CE doit être apposé, soit moulé dans le plastique du jouet, soit imprimé sur une étiquette ou sur la boîte. Il est exclu de trouver dans un magasin spécialisé un jouet qui ne porterait pas le logo CE, qui donc ne serait pas « conforme ». C‘est une garantie pour le consommateur, qui est invité à garder les références de la société qui a mis le produit sur le marché européen et a pu apposer le logo CE. Si je n’imagine pas que les particuliers gardent dans un tiroir les coordonnées de tous les fabricants de jouets, j’invite les professionnels à le faire, cela peut leur être utile en cas d’accident.
Evidemment le CE peut avoir été apposé de manière systématique, sans tests préalables, l’usine d’origine peut avoir modifié quelque chose dans la production sans en avertir le distributeur et donc sans que de nouveaux tests soient faits, etc. C’est comme ça que chaque année on entend parler de produits que telle ou telle enseigne a dû rapatrier d’urgence, comme Mattel en 2007. Le fait que ces jouets aient été retirés du marché est plutôt rassurant : les services des fraudes et autres douaniers veillent au respect des normes. Certaines entreprises éprouvent le besoin de répondre aux angoisses des consommateurs en précisant que leurs jouets sont conformes aux normes CE, c’est à la limite de la légalité, car cela sous-entendrait que les autres, portant aussi le logo CE, ne le sont pas…
Il faut quand même penser que le logo CE, marque de conformité aux normes européennes de sécurité, ne s’applique pas qu’aux jouets. J’ai ainsi vendu dans les accessoires de déguisement pour « jouer à être » un gyrophare de petite taille, fonctionnant avec des piles, que l’enfant pouvait poser sur son vélo ou sur son camion pour jouer au pompier. Le CE était gravé dans la glissière protégeant les piles. Mais en regardant de plus près les certificats fournis par le fabricant, je me suis aperçue du fait que cet objet « destiné à être utilisé à des fins de jeux par des enfants » selon moi, était considéré par le fabricant comme un membre de la famille des luminaires, et que le CE garantissait qu’il était conforme aux normes des objets à fin d’éclairage. (Il n’était pas dangereux pour autant, car les piles inaccessibles…)
Jouet ou pas jouet, parfois la nuance est subtile. On trouve quelquefois des jouets portant la mention : « ceci n’est pas un jouet ». C’est soit que le produit n’est pas conforme aux normes jouets (c’est le cas de nombreux jouets métalliques, souvent fabriqués dans les pays de l’Europe de l’Est, susceptibles d’être coupants), soit que le distributeur n’a pas l’intention d’investir dans des tests qui coûtent cher pour une poignée de produits.
Les tests coûtent très cher en effet, car ils doivent répondre à des tractions, pressions, analyses chimiques diverses qui ne peuvent être faites qu’en laboratoire. Tout doit être analysé, par exemple pour un jouet textile, les différents tissus, le fil, la fermeture « éclair », la doublure, le molleton, le coton perlé des broderies… Si l’éditeur souhaite décliner une gamme en toutes sortes de couleurs, cela va augmenter son coût de fabrication de manière significative. Dans le cas où le produits sont fabriqués par dizaines de milliers, cela devient quantité négligeable, mais c’est certainement un frein à la créativité pour les petites entreprises qui produisent de petites quantités.
La norme EN71. 1 : propriétés mécaniques et physiques.
Il s’agit d’éviter de se blesser avec une pointe, un crochet métallique, une écharde s’il s’agit de jouet en bois. C’est ainsi que les petits crochets, l’un « mâle », l’autre « femelle », des petits trains en bois sont souvent remplacés par des aimants.
C’est dans la norme EN71.1 qu’intervient la recommandation « ne convient pas à un enfant de moins de 36 mois ». Les moins de 3 ans, expérimentent en mettant ce qui les intéresse à la bouche, il faut éviter de laisser à leur portée des objets susceptibles d’être avalés, provoquant éventuellement étouffement ou blessures internes.
J’espère ne pas passer pour irresponsable et rassurer les parents en précisant qu’une petite perle, pas plus qu’un noyau de cerise, ne fera de mal à un petit qui l’avalerait.
Benoit avait fouillé le sac de sa maman, et avalé une pièce de 1 franc. Affolement, radios (ça fait gros une pièce de 1 franc par rapport à un estomac de 2 ans !), et puis la pièce est ressortie « par les voies naturelles ». Commentaire du petit Benoit, intrigué par tant de ramdam : « Pourquoi toutes ces histoires, il y en a encore plein dans ton porte-monnaie ».
Malheureusement tout ne se passe pas toujours aussi bien. Il faut donc être attentif à ne pas laisser traîner les jouets des grands, les Playmobil par exemple, là où jouent les petits.
Pour apprécier si un objet est « petit » ou « conforme », il existe un outil appelé cylindre de sécurité, qui représente le gosier d’un enfant de moins de 36 mois. C’est un cylindre tronqué aux dimensions très précises. Si l’objet entre en entier dans le cylindre, il faut éviter le contact avec les moins de 3 ans. S’il dépasse, c’est bon. Si c’est un objet compressible, en textile par exemple, il faut voir si, une fois tassé, il rentre ou non dans le cylindre. Attention notamment aux objets contenant de petits aimants : s’ils peuvent être accessibles ou se détacher, ils représentent un réel danger pour qui les avalerait. Se procurer ce cylindre quand on n’est pas professionnel n’est pas facile, la partie cartonnée d’un rouleau de « sopalin » peut être utilisée comme cylindre test, bien que le diamètre soit légèrement plus grand (diamètre 3,17cm, hauteur 5,71 cm).
J’ai envie aussi de vous parler de la longueur des cordons, norme qui m’a donné du fil à retordre quand j’ai conçu le sac cheval de AETRE. Il est dit, en effet, que pour éviter des risques de strangulation les cordelettes ne doivent pas dépasser 22 cm. Pour voir ce que ça fait, 22 cm, pensez que c’est la largeur du papier A4. La queue de mon cheval AETRE est plus longue que ça, du coup les fabricants, tout chinois qu’ils étaient, refusaient de me fabriquer ce jouet « non conforme » et il a fallu que je leur prouve que cette norme ne s’applique qu’au moins de 3 ans et que le cheval est conçu pour les plus de 3 ans pour qu’ils acceptent de lancer la fabrication.
Mais donc la cordelette de 21,9 cm, pour tirer derrière soi un chien ou un cheval, même quand on est haut comme 3 pommes, ce n’est pas très pratique… Quelquefois on voit des objets à tirer avec une petite ficelle ridicule, et on se demande si le fabricant a déjà vu un enfant… Souvent on trouve des jouets « à tirer » sans ficelle du tout, mais avec un crochet ou un trou dans le bois prévu pour mettre une cordelette : à vous, les parents, les éducateurs, de mettre une grande ficelle, ce sera sous votre responsabilité ! Sinon le fabricant devrait indiquer pour un tel jouet, auquel on joue quand on commence à marcher, entre 18 et 24 mois en général, qu’il ne convient pas au moins de 36 mois, avec le logo attitré.
Pour la norme EN71.2 : inflammabilité, vous pouvez vous amuser à approcher un briquet d’une peluche, si le feu prend avec de grandes flammes, il y a danger (on s’en doutait). Il faut être vigilant avec les déguisements et les jouets dans lesquels on « rentre ». La norme d’inflammabilité leur est appliquée avec encore plus de rigueur. Mais il vaut mieux ne pas mettre de bougies à proximité des enfants déguisés. Car si un objet que vous avez dans les mains s’enflamme, hop ! , vous avez le réflexe de le jeter, mais si vous êtes "dedans" ?
Norme EN71.3 : migration de certains éléments, autrement dit propriétés chimiques. N’ayant pas de laboratoire pour analyser les quantités de plomb, de bromure et autres substances indésirables, nous sommes en général obligés de nous fier au CE. Au fur et à mesure des recherches et découvertes, certains produits sont relégués aux oubliettes, comme la Celluloïd des poupées de mon enfance (remplaçant la porcelaine trop fragile et trop lourde) ou le plomb des petits soldats. Il y a quelques années, le monde du jouet a subi d’ardentes campagnes anti phtalates, une substance contenue dans certains PVC et qui, mélangée à la salive, serait cancérigène. Les poupées Barbie contenaient des phtalates, qui ont la propriété de rendre le PVC souple, je crois. Maintenant Mattel a changé la composition de son plastique. De toute façon, les Barbie ne sont pas destinées à être mises dans la bouche régulièrement ! Il s’agit surtout d’interdire ces substances dans les hochets de dentition, tétines et jouets « couineurs » .
À propos de jouets couineurs, de nouvelles normes régularisant le nombre de décibels autorisés dans un « pouet pouet » ou « coin coin » sont maintenant fixées. Les fabricants ont 2 ans pour mettre leurs jouets en conformité. On imagine le raffut dans les laboratoires ! Les normes ont 20 ans, mais ne cessent d'évoluer.