mercredi 29 février 2012

Introduction officielle du jeu d'échecs à l'Ecole

Par une circulaire du 12 janvier 2012,  le Ministèrede l'Education Nationale prône le "recours aux jeux traditionnels comme les échecs, les jeux à règles (jeux de cartes ou de plateau), les jeux de construction qui permettent de développer la motivation, la concentration des élèves, d'encourager leur esprit d'autonomie et d'initiative et de travailler les fondamentaux par une approche différente." Et ce, de Mat' sup' (dernière classe de Maternelle) au collège et même à la 2nde.
Moi qui m'inquiète souvent de voir la place du jeu à l'école, à commencer par l'Ecole Maternelle, se réduire comme peau de chagrin, je m'en réjouis.

Mais pourquoi dire "une place particulière doit être accordée au jeu d'échecs" ?  
"La pratique du jeu d'échecs conduit (...) à développer des compétences mobilisant logique, stratégie, rigueur, concentration, mémoire et capacité d'abstraction, qui sont toutes des facteurs de réussite",  écrit-on. Je comprends que la pratique de ce jeu développe des qualités d'abstraction et de "calcul" semblables à celles d'un mathématicien. Encore faut-il, pour "développer ces compétences" les avoir déjà acquises. Se retrouver de but en blanc devant un jeu d'échecs, sans avoir auparavant expérimenté le Jeu avec des jeux à règles simples paraît prématuré.

Le jeu d'échecs, oui, mais le jeu en général permet " l'apprentissage de la citoyenneté, par le respect des règles et d'autrui."  Dès que les enfants se réunissent autour d'une table et attendent leur tour pour lancer le dé, ils sont confrontés en effet aux contraintes de la vie avec les autres, mais ce qui est essentiel dans le jeu n'est pas souligné dans la directive ministérielle : ils acceptent ces contraintes, ils les font leurs, parce que sans elles le jeu et le plaisir du jeu, du jouer ensemble, ne peut exister. Ce n'est pas apprendre à respecter les règles qui est  fondamental - et que fait-on tout le reste du temps à l'école, du reste ?-, c'est apprendre que sans règle ça ne marche pas. Dans une boîte de jeu, en général, il y a une règle écrite. Elle est la même pour tous, et les joueurs peuvent s'y référer en cas de litige. A la limite on peut la modifier si on en prend la décision tous ensemble au préalable. Mais on ne s'amusera bien ensemble qu'à la condition de respecter la règle, les autres et le temps du jeu. Cela vaut aussi pour les jeux dont on ne trouve pas la règle écrite dans une boîte (c'est d'ailleurs souvent le cas des jeux d'échecs, dont la règle se transmet oralement la plupart du temps). Tous les jeux auxquels on joue dans la cour, jeux de chat, jeux d'adresse, et même des jeux d'imitation ou de faire semblant, pour lesquels, je l'ai déjà dit ailleurs, un règle implicite ou explicite est forcément sous-jacente ( "On serait dans un avion, tu serais le pilote..."), même si les joueurs n'en ont pas clairement conscience.

En ce qui concerne "autrui", je reconnais que le jeu d'échecs est un champion de l'empathie, un bon joueur imagine avant de poser sa pièce comment réagira son adversaire : "si j'avance mon cavalier, tu vas bouger ta tour, et alors...". Oui, je cherche à me mettre à ta place, mais c'est pour mieux te manger, mon enfant !

Le jeu d'échecs ne doit rien au hasard. Voilà pourquoi, sans doute, il est le bienvenu à l'Ecole, et pourquoi, de mon côté, j'ai des réserves sur ses vertus éducatives.
Bien entendu c'est un outil pédagogique fabuleux, qui " mobilise et entraîne les capacités de mémorisation et d'anticipation de l'élève, ainsi que de repérage spatial sur l'échiquier et ses représentations graphiques", particulièrement pour l'enseignement des mathématiques : " À titre d'exemple, l'introduction des notions de repérage en classe de sixième, de puissance en classe de quatrième ou encore de translation en classe de seconde peut s'appuyer de manière pertinente sur des situations proposées", souligne la circulaire du 12 janvier dernier.
Encore faut-il entrer dans ce jeu. Et gagner.

Le jeu d'échecs  favorise l'esprit de compétition. "La Fédération française des échecs étant une fédération sportive, le jeu d'échecs peut se pratiquer dans le cadre du volet sportif de l'accompagnement éducatif, à l'heure des repas, le soir après les cours, ainsi que le mercredi". Dans ce  "sport" comme dans les autres, tout le monde ne peut pas être champion. Que cherche-t-on ? Une élite, capable de remporter des tournois ? Il faut introduire dans l'Ecole des jeux d'échecs ET d'autres jeux, sans hiérarchie, qui mettront en avant les qualités de chacun, le plus adroit comme le meilleur stratège, le plus costaud comme le poète le plus inspiré... Avec parfois un peu de hasard, pour que tout le monde un jour puisse gagner.

Et comment organiser les "cours de jeu" ? Pour que cela reste  du jeu, il faut que l'on soit libre de jouer ou non. Introduire le jeu à l'Ecole, c'est accepter de faire de la pédagogie à la Freinet, dans des classes où les enfants ont une réelle autonomie. Quel beau projet ! Mais est-ce bien l'idée du Ministère?

Ce que ne dit pas cette circulaire en revanche, et qui pour moi est le meilleur argument en faveur d'une initiation au Jeu d'échecs à l'Ecole, c'est son universalité. Il est peu de jeux, en fait, où il ne soit pas nécessaire de parler un tant soit peu la même langue pour jouer ensemble. Dans une soirée, face à des russes ou des chinois, s'ils sont joueurs d'échecs, trouvez un échiquier et vous passerez un excellent moment, vous vous comprendrez parfaitement.

Côté parité aussi, l'enseignement des échecs à l'école me paraît intéressante. Actuellement en effet, et pas seulement dans ma génération, peu de femmes jouent aux échecs. Si toutes les petites filles s'y mettent, si ce n'est pas considéré comme une occupation futile mais une pseudo-discipline scolaire, on va voir apparaître des quantités de Vera Mencikova, première championne du monde d'échecs.





Enfin, comme jouer aux échecs est une activité sérieuse et "adulte", on pourra voir s'affronter des joueurs de tous âges, et, dans les jardins du Sénat, près de l'Orangerie, s'asseoir des enfants face aux messieurs retraités du Luxembourg, qui se retrouvent là, dès que les beaux jours reviennent.

10 commentaires:

  1. "Le jeu d'Echecs ne doit rien au hasard"

    Je ne suis pas tout à fait d'accord. Pour commencer, le hasard peut décider si on aura les blancs ou les noirs.
    De plus, il y a plusieurs motivations et plusieurs façons de jouer aux Echecs. A partir d'un certain niveau, on recherchera la beauté du jeu plutôt que la simple victoire. Cela a pour effet de voir apparaitre des suites de coups irrationnelles à première vue, mais esthétiquement plus intéressantes et moins prévisibles. Il y a aussi le jeu en blitz : parties jouées à la pendule avec moins de 5 min de temps de jeu par joueur. La course contre la montre est souvent la cause d'un tas de coups souvent plus mauvais les uns que les autres car non suffisamment réfléchis, et le hasard fera souvent que l'adversaire ne réalisera pas la portée de ces erreurs, faute de temps d'analyse. Petit à petit, on apprend alors à réfléchir vite et efficacement.

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  2. Pour les blancs ou les noirs, d'accord. Sinon, jouer "au petit bonheur la chance", certes ce n'est pas de la stratégie, mais ce n'est pas pour autant un jeu dans lequel entre le hasard, comme un dé, un tirage de cartes ou de lettres, une distribution aléatoire, qui permet de dire "je n'ai pas eu de chance"... Cependant ces parties où entrent en ligne de compte l'esthétique ou la course contre la montre sont peut-être plus "ludiques" parce qu'imprévisibles. L"'alea" est une composante essentielle du Jeu.

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  3. "Le jeu d'échecs favorise l'esprit de compétition"
    La compétition dans les Echecs n'est pas une bonne chose de manière généralisée. Comme pour tous les autres sports, c'est un monde impitoyable où tous les joueurs sont obsédés par leur classement ELO (inventé pour les échecs, aujourd'hui utilisé pour les joueurs de tennis). On y perd en beauté du jeu (dans le petit niveau car avec les grands maîtres, c'est autre chose) et en convivialité. De plus, je n'ai jamais compris pourquoi il y avait, même aux échecs, des championnats pour les hommes et d'autres pour les femmes. Cela ne semble pas près de changer.

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    1. Les compétitions sont souhaitées par le Ministère, mais en quelque sorte à titre de pub : "des rassemblements locaux ou des événements à portée symbolique, notamment des tournois, seront encouragés afin de donner toute la visibilité à cette pratique et valoriser l'action des enseignants et des acteurs échiquéens auprès des institutions et des collectivités locales." Bien d'accord avec toi pour opposer compétition et convivialité. Dans le cadre scolaire, il faut s'en méfier. Comme dans les clubs de sport ou les conservatoires de musique, on vous dit que l'important est de participer, mais souvent ce sont surtout les futurs champions et les virtuoses qui intéressent les enseignants.
      Pour la mixité, elle devrait suivre l'introduction du jeu d'échecs à l'école républicaine, mixte (et obligatoire), non ?

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  4. La plus grande joueuse actuelle et la seule à jouer exclusivement face aux hommes, la joueuse hongroise Judit Polgar : http://fr.wikipedia.org/wiki/Judit_Polg%C3%A1r

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    1. Echecs et musique
      En complément à ce post, Fabricio Cardenas publie dans Musicam Scire un article très intéressant mettant en rapport Echecs et musique.

      http://musicamscire.blogspot.com/2012/03/echecs-et-musique.html

      A lire et à écouter.

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  5. article très intéressant,

    le fait qu'il n'y est pas hasard dans ce jeu rend difficile la défaite et plus galvanisante la victoire.et c'est en cela que je vois un intérêt a le développer dans le milieu scolaire.

    dans un tournois il y a quelques gagnant et beaucoup de perdant. de même dans le milieu scolaire, seul les "premier de classe" ressentent de la satisfaction. Mais pour la grand majorité c'est une déception, comme dans les tournois d'échecs.

    Je pense que le jeux permets de maîtriser des émotions qui font peur.
    en apprenant à perdre même si ils ont mis toute leur force dans la bataille les enfant pourront apprendre a ne pas être les super élèves que les enseignements et les parents recherche.

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  6. Oui, il faut apprendre à perdre, mais pour l'image de soi il faut aussi gagner de temps en temps... C'est pourquoi il faut aussi d'autres jeux, me semble-t-il. c'est d'ailleurs suggéré dans la circulaire...En tout cas, pour qui est capable de former des enseignants au jeu d'échecs, ou de l'enseigner lui-même, voilà une nouvelle possibilité de boulot...

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